Bien que le Chili ne soit pas en guerre (contrairement à ce qu’affirme le Président Piñera), de graves violations des Droits de l’Homme y sont commises depuis le début de la révolte sociale, en octobre dernier. Chaque jour, le corps de chacun et chacune est un peu plus considéré comme un champ de bataille par les Forces Armées – policiers et militaires.
Avant tout, revenons sur la crise sociale que traverse l’un des pays les plus stables d’Amérique latine. Le Chili s’est réveillé 30 ans après la fin d’une longue dictature (1973-1989), à la suite d’une augmentation de 30 centimes du prix du trajet de métro. Mais, derrière ces 30 centimes se cachent un système social en décadence (accès à la santé toujours plus compliqué, pensions de retraite toujours plus misérables, éducation toujours plus chère), des loyers en perpétuelle augmentation, un revenu minimum à 300000 pesos chiliens soit 400 euros, un usage incontrôlé des ressources naturelles (privatisation de l’eau, exploitation des forêts primaires) mais également des populations indigènes sans cesse réprimées depuis la Colonisation espagnole. Derrière ces 30 centimes, se nichent plus de 30 ans de politiques néo-libérales qui ont forgé les inégalités sociales que connaît aujourd’hui le Chili. En effet, comment s’étonner de ce mouvement populaire quand on sait que 140 Chiliens concentrent près de 20% des richesses du pays ?
©Myriam-Gaëlle Masso
“ Le 4 novembre dernier, l’INDH recensait déjà 19 plaintes pour violences sexuelles (menaces, attouchements, viols) ; quatre jours plus tard, l’organisme en avait reçues 52. Ces chiffres, élevés, en à peine trois semaines.”
La dictature chilienne, c’est aussi beaucoup – trop – d’abus : disparitions, tortures physiques et sexuelles, viols, avortements forcés, assassinats… Qui restent impunis, malgré un traumatisme profond au sein de la société. Pour la majorité des Chiliens, la réaction du gouvernement Piñera a fait écho aux heures sombres du pays : couvre-feux, militarisation de la vie quotidienne, répression.
Les Forces Armées ont également repris leurs vieilles habitudes et les premières dénonciations de violations des Droits de l’Homme se sont vite accumulées auprès de divers organismes, dont l’INDH (Institut National des Droits de l’Homme), à tel point que Michelle Bachelet, ex-Présidente du Chili (2006-2010, 2014-2018) et actuelle Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, a mandaté des observateurs de l’ONU pour faire la lumière sur ces faits.
Le 4 novembre dernier, l’INDH recensait déjà 19 plaintes pour violences sexuelles (menaces, attouchements, viols) ; quatre jours plus tard, l’organisme en avait reçues 52. Ces chiffres, élevés, en à peine trois semaines, témoigne d’une volonté politique, d’une stratégie bien établie et non de cas isolés. Ces crimes soulignent également la culture patriarcale chilienne (même si certaines victimes de violence politico-sexuelle sont des hommes) dans la mesure où les femmes sont généralement considérées comme des citoyennes de seconde zone, dont le corps doit servir à assouvir le plaisir des hommes.
Dans un monde où les réseaux sociaux sont légions, plusieurs cas de violence politico-sexuelle sont devenus viraux. Le 5 novembre, au sein du Commissariat de Macul, commune au Sud de Santiago,parmi les 5 adolescents détenus – dont un jusqu’à 23 heures – alors qu’ils manifestaient pacifiquement aux abords de leur lycée, les 3 jeunes filles affirment qu’elles ont été forcées à se dénuder et à montrer leur entrejambe.La visibilité accrue des violences politico-sexuelles ne saurait faire oublier les nombreuses victimes qui restent silencieuses et/ou qui sont effacées par les mœurs conservatrices de la société chilienne, notamment les personnes LGBTQ+ dont la sexualité reste taboue. Par exemple, la nuit du 21 octobre, commença la détention de Josue Maureira, étudiant homosexuel âgé de 21 ans. Jusqu’à sa libération le 25 octobre, il fut, entre autres, roué de coups, obligé à crier « PD » de plus en plus fort, et sexuellement agressé avec une matraque par les Forces de l’Ordre. Les blessures constatées au Commissariat, sans examen approfondi, furent considérées comme légères.
Alors qu’une grande partie de la société civile se mobilise et demande justice, la réaction du gouvernement remanié de Sebastian Piñera semble encore incorrecte. On ne citera qu’un exemple parmi tant d’autres : au moment où l’INDH annonçait avoir reçu plusieurs plaintes de violences politico-sexuelles, Isabel Plá, Ministre de la Femme et de la Parité, affirmait dans un des principaux journaux du pays qu’aucune plainte n’avait été déposée.
Face à l’inertie des pouvoirs publics, de nombreuses franges de la société se sont emparées du thème et tentent de combler l’inaction de l’État. A l’instar de l’Association des Avocates Féministes du Chili (ABOFEM) ou de certains (élèves) avocats de l’Université du Chili qui offrent une permanence juridique et qui recueillent des dépositions (753 cas de violations des Droits de l’Homme au 30 octobre) le collectif féministe « Memorias de Rebeldías Feministas » (Mémoires de Rébellion Féministes) a mis en place une campagne de sensibilisation, incluant une adresse e-mail à travers laquelle il est possible de dénoncer les abus sexuels commis pendant cette période de répression .
Meutri par la dictature, puis endormi par des réformes socio-économiques décousues, le peuple chilien est prêt à rester debout. Debout, jusqu’à ce que les changements sociétaux réclamés ne s’apparentent plus uniquement à un rêve. #ChileDesperto
Myriam-Gaëlle Masso
Sources