
NIGÉRIA
CONTEXTE
Le Nigéria, État fédéral situé dans le golfe de Guinée, est le pays le plus peuplé d’Afrique et la première puissance économique du continent. Pourtant, ce géant d’Afrique est en proie à l’instabilité depuis le début des années 2000 et l’arrivée de groupes armés sur le territoire.
L’État du Borno, situé dans le nord-est du pays est particulièrement touché. Cette région, qui est la plus éloigné d’Abuja, centre du pouvoir, subit depuis 2009 l'insurrection du groupe armé Boko Haram et de ses factions discidentes. Aujourd’hui, plusieurs groupes armés sévissent dans la région et l’État du Borno connaît une grave crise humanitaire.
Le conflit a fait plus de 40 000 morts [1] et plus de 2,5 millions de déplacés dans la région. Les civils sont particulièrement touchés par les combats opposant l’armée régulière et les milices insurrectionnelles. Comme trop souvent, les femmes et les enfants sont les premières victimes de ces combats.
Toutes les parties prenantes au conflit ont perpétré des exactions contre les civils, faisant des violences sexuelles une véritable arme de terreur, de punition et de contrôle. Ces atrocités sont omniprésentes et systématiques, dans les camps de Boko Haram, les camps de réfugiés, les prisons ou les villages. Les violences sexuelles ne servent pas seulement à terroriser les populations civiles, elles sont aussi utilisées à des fins politiques. Les femmes et les filles enlevées par Boko Haram subissent une exploitation sexuelle dans les camps et sont parfois offertes comme "récompenses" aux combattants jugés méritants [2]. De leur côté, certaines forces militaires nigérianes profitent de la vulnérabilité de ces femmes et ces filles pour les soumettre à des violences sexuelles sous forme de chantage [3].
Si les femmes et les filles sont les premières victimes de ces violences, les hommes le sont également. Pourtant, la stigmatisation qui entoure les violences sexuelles subies par les hommes est encore plus forte, les réduisant trop souvent au silence. À ce jour, il reste presque impossible d’évaluer précisément le nombre d’hommes victimes dans la région.

Ce conflit reste largement absent de la scène médiatique internationale, à l’exception de rares événements marquants, comme l’enlèvement des filles de Chibok en avril 2014. Pourtant, les victimes continuent d’affluer dans un silence assourdissant. Les survivantes et survivants de violences sexuelles ne sont que très peu pris en charge, en raison de multiples obstacles : une stigmatisation profondément ancrée dans la société bornouane, une méfiance envers le système judiciaire et sécuritaire des forces gouvernementales, et un manque de structures spécialisées.
Malgré les efforts de certaines organisations pour documenter les crimes et identifier les victimes dans l’État de Borno, ces initiatives restent dispersées et insuffisamment coordonnées. En conséquence, le suivi et la prise en charge des survivantes et survivants ne sont pas garantis, nourrissant des attentes déçues et un sentiment d’abandon chez de nombreuses victimes. Par ailleurs, l’impunité demeure la norme, les auteurs de ces atrocités étant rarement traduits en justice.
LE PROJET
“Nigéria: des technologies innovantes pour prévenir et combattre les violences sexuelles”
En juin 2023, WWoW a remporté en consortium avec Bibliothèques Sans Frontières, l’appel à projet “Innovation Humanitaire” du Centre de Crise et de Soutien (CDCS), du Ministère des Affaires Etrangères et de l’Europe (MEAE). BSF et WWoW ont décidé de s’associer afin de travailler ensemble autour d’un axe commun à savoir le développement de technologies et de contenus contextualisés online et offline pour prévenir et combattre les violences sexuelles liées aux conflits et aux crises, en s’appuyant sur la société civile et les communautés locales. Le projet a débuté le 1er novembre 2023 pour une durée de 18 mois.
Ce projet dans le nord-est du Nigéria représente une étape décisive pour le passage à l’échelle du déploiement de l’outil BackUp. Après plusieurs phases de preuve de concept menées entre 2018 et 2021 en Libye, au Rwanda, au Burundi et en Guinée-Conakry, il s’agit du premier déploiement pilote à moyen terme de l’outil dans sa version finale.
Ce déploiement s’appuie sur la méthodologie développée par WWoW, garantissant une évaluation rigoureuse de l’impact et de l’efficacité de l’outil directement sur le terrain. Dans ce cadre, et ce, depuis la création de BackUp en 2017, WWoW travaille avec son partenaire exclusif IntechLux en charge de son développement et de sa maintenance.

Sur place, WWoW travaille avec son partenaire stratégique, la Grassroots Researchers Association, une ONG nigériane locale bien implantée au nord-est Nigéria. Grâce à une subvention, GRA devient le partenaire opérationnel de WWoW, notamment dans les activités de sensbilisation, de collecte de données et la coordination avec les communautés locales.
WWoW implique également des survivantes de Chibok, et travaille étroitement avec les réseaux de survivantes et survivants, les leaders communautaires et religieux ainsi que des organisations de la société civile locales.
OBJECTIFS
Ce projet au nord Nigéria s’inscrit dans la politique globale de WWoW de mettre en place des outils accessibles, fonctionnels et agiles permettant de mieux documenter et donner une voix aux survivantes et survivants de violences sexuelles liées aux conflits et aux crises.
De façon plus spécifique, le projet vise à :
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Permettre aux victimes de violences sexuelles, ou à un tiers, de partager les informations concernant un crime, de manière sécurisée via BackUp.
Permettre aux victimes, même dans les zones les plus reculées, de se signaler et d’être identifiées grâce au développement de BackUp en version offline, en s’appuyant sur les dispositifs d’internet offline de BSF.
Permettre aux victimes de crimes graves d’accéder aux services de prise en charge grâce au travail de cartographie du personnel de santé (effectué par les équipes de WWoW) à Maiduguri et ses alentours.
Permettre à toute personne d’accéder à du contenu contextualisé sur les violences sexuelles liées au conflit dans la région, via la nouvelle fonctionnalité informative de BackUp (en cours de développement) et les bibliothèques numériques de BSF.
Collecter, conserver et sécuriser les informations sur le Back Office, outil d’analyse criminelle développé par WWoW, afin d’assurer l’inaltérabilité et la non-répudiation d’éléments de preuves.
Centraliser les informations collectées concernant les exactions commises en matière de violences sexuelles dans la région, afin de produire des rapports et construire un plaidoyer dans l’objectif, à terme, d'influencer les politiques publiques.
Renforcer les capacités des réseaux de survivantes et survivantes et ceux de la société civile.
Coordonner les besoins avec les acteurs internationaux, en particulier avec le bureau de la représentante spéciale du SRSG pour la prévention et la lutte contre les violences sexuelles ainsi qu'avec la Fondation Mukwege et les organismes des Nations unies présents.
Contribuer à nourrir des procédures judiciaires que ce soit au niveau national ou international.
ACTUALITÉS DU PROJET
FÉVRIER 2024
Une mission de terrain préliminaire a été effectuée entre le 11 et le 18 février 2024, dans la ville de Maiduguri, dans l’État du Borno, au nord-est du Nigéria, par deux expertes de WWoW et deux personnels de BSF.
Cette première mission a permis d’échanger avec les survivantes et survivants, les représentants religieux et traditionnels, les organisations de la société civile et les organisations internationales.
Elle a également permis d’identifier les besoins urgents, les zones pour déployer BackUp et les Ideas Cube de BSF ainsi que de déterminer les besoins généraux en matière de prévention et de lutte contre les violences sexuelles.



OCTOBRE 2024
Une deuxième mission de WWoW s’est tenue du 15 au 22 octobre 2024.
Cette mission a permis de formaliser le cadre partenarial entre WWoW et GRA et surtout de finaliser la stratégie opérationnelle de mise en œuvre du projet, incluant la sélection des premières communautés bénéficiaires et des lieux de déploiement des activités de sensibilisation au projet et à BackUp.
Au cours de cette mission, les équipes conjointes de WWoW, BSF et GRA ont renforcé leur coopération et établi un plan de travail opérationnel et une stratégie de sensibilisation autour du projet, des outils technologiques et des questions relatives au violences sexuelles liées aux conflits, au profit des communautés bénéficiaires et des parties prenantes.
JANVIER 2024

En collaboration avec la GRA, partenaire local et opérationnel au Nigéria, WWoW a lancé en janvier une série de groupe de discussions avec des représentantes de communautés locales; survivantes, femmes influentes, représentantes de réseaux de survivantes, etc. préalablement identifiées.
Ces sessions se poursuivront sur plusieurs mois, avec pour objectif de :
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Présenter le projet et les outils technologiques déployés.
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Sensibiliser à la prévention, la prise en charge et la documentation des violences sexuelles liées aux conflits
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Créer des espaces de dialogue sûrs pour mieux comprendre les besoins des survivantes et adapter notre réponse
APPORTS DU PROJET
En s’appuyant sur les dispositifs internet offlines de BSF, WWoW va pouvoir développer une version offline de l’outil BackUp, qui sera désormais accessible dans des zones peu ou pas connectées.
Le volet prévention de BackUp va être renforcé par l’ajout d’une fonctionnalité informative à l’outil, permettant à ses utilisateurs d’accéder à du contenu en lien avec les violences sexuelles liées aux conflits.
Le projet vise à créer des liens notamment avec les survivantes et les survivants afin d’échanger autour de leurs expériences, leurs besoins et de porter leur voix au niveau international.
Le déploiement permet d’ancrer les actions de WWoW dans la région et d’initier à long terme un déploiement plus large sur toute la région du Sahel et du Golfe de la Guinée.
Il permet enfin de contribuer au développement d’un modèle d’enquête sur les crimes sexuels, actuellement en déploiement sur une autre zone, afin de mettre en place une méthodologie permettant d’étayer rapidement la commission de ces crimes sexuels lors d’exactions et d’alerter comme de nourrir les procédures judiciaires à travers le recueil de preuves rapides.
RÉFÉRENCES
[1] NIGERIA WATCH, nigeriawatch.org, 2024
[2] INTERNATIONAL CRISIS GROUP, “Nigeria: Women and the Boko Haram Insurgency”, 5 décembre 2016
[3] AMNESTY INTERNATIONAL, 'THEY BETRAYED US' WOMEN WHO SURVIVED BOKO HARAM RAPED, STARVED AND DETAINED IN NIGERIA’, 2018