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  • 17 oct. 2018
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

A l’occasion de la sortie du film Libye, Anatomie d’un crime sur Arte le 23 octobre, l’équipe de We Are Not Weapons of War (WWoW) se propose de revenir sur l’utilisation du viol et des violences sexuelles dans le conflit libyen. Une série de 4 articles sera donc proposée d’aujourd’hui à mardi prochain, jour de diffusion du film. Ce-dernier met à jour l’utilisation du viol dans le conflit libyen, depuis le soulèvement de 2011 et jusqu’à aujourd’hui. Il révèle l’utilisation de cette arme ancrée au cœur du régime de Mouammar Kadhafi, et qui reste utilisée, après la mort du raïs, par les milices qui recouvrent tout le territoire libyen. Ce film réalisé par Cécile Allegra, veut montrer ce qu’est le viol de guerre : une arme pensée, planifiée, organisée qui constitue une véritable stratégie, vise des objectifs particuliers, et touche par conséquent des femmes comme des hommes. Il suit le travail de Céline Bardet, présidente de WWoW, et des réseaux libyens sur le terrain. Un travail d’expertise juridique, d’enquête, de recueil de témoignages qui demandent de s’appuyer sur les réseaux locaux et de développer des liens de confiance.


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Ce mois d’octobre a d’ailleurs montré qu’il est urgent de considérer le viol de guerre comme un enjeu majeur dans les problématiques de paix et de sécurité. Le Docteur Denis Mukwege et l’activiste yézidie Nadia Murad ont reçu le Prix Nobel de la Paix en début de mois. Il s’agit d’un message fort, qui doit appeler à l’action. L’action, c’est ce que continue de privilégier l’équipe de WWoW. Le film Libye, Anatomie d’un crime ne doit pas être vue comme une finalité, et le travail avec les Libyens continue au quotidien : plus de 700 cas de victimes ont été collectés par les réseaux de Tripoli, et WWoW a lancé un appel à l’action qui permet à chacun de soutenir ce travail d’enquête. Chaque jour, de nouveaux cas apparaissent, mais pour faire aboutir ce son travail d’expertise judiciaire, WWoW a désormais besoin de fonds.


Ce premier article propose de revenir sur l’utilisation des violences sexuelles par le pouvoir de Kadhafi. Il s’agit en effet d’une arme qui existe depuis longtemps aux mains du régime.

Lors du soulèvement libyen en 2011, Iman al-Obeidi est la première a donné l’alerte. Jeune femme diplômée en droit et activiste libyenne, elle rentre dans l’hôtel Rixos en mars 2011, où la presse du monde entier s’est réunie. Elle hurle qu’elle a été violée par les soldats du régime avant d’être sortie par les services de sécurité de l’hôtel. Le cri d’alarme est donné et se répand petit à petit. D’autres activistes alertent à cor et à cri les médias et les instances internationales quant à l’utilisation du viol pour briser les manifestants. Fin avril, Luis Moreno Ocampo, alors Procureur Général de la CPI, promet d’ouvrir des enquêtes concernant ces violences sexuelles. Malheureusement, cette promesse n’est finalement que peu suivie d’actions. Et la CPI, bien que compétente dans le cas libyen, est restée finalement relativement impuissante comme on le verra dans un prochain article.


Durant toute la durée du soulèvement libyen, le viol est présent. Il est utilisé par le régime comme arme de répression face à la contestation. Il veut briser l’opposition politique, terroriser et casser les manifestants. Un rapport de l’ONG Physician for Human Rights sort en 2011, et met déjà en lumière ces exactions. Il regroupe notamment plusieurs témoignages autour de la ville de Misrata. Les viols concernent de nombreuses femmes abusées au cours d’opérations menées dans les villes. Les viols se font dans la rue, en public, ou dans les maisons devant la famille de la victime. Il y a une volonté d’humilier la victime, mais aussi de briser ceux qui se trouvent autour d’elle. Déjà des témoignages apparaissent sur des viols d’hommes, victimes restées longtemps invisibles face à ce fléau qui instaure un tabou difficile à briser. Cette stratégie qui consiste à cibler particulièrement les hommes sera d’ailleurs l’objet d’un prochain article de cette série.


En réalité, si ces sévices sexuels se sont particulièrement exprimés durant les 8 mois d’insurrection en 2011, cette arme est historiquement ancrée dans la logique du régime. Elle est même liée de façon très particulière à la personne même de Mouammar Kadhafi.

En effet, on sait désormais très clairement que le raïs utilisait lui-même cette pratique pour asservir des personnes autour de lui. Il s’était constitué un véritable harem dans sa résidence de Bab al-Azizia. Des jeunes filles mais aussi de jeunes hommes étaient recrutés dans les écoles, durant les événements publics, selon la volonté du colonel. On sait en outre que de nombreuses « Amazones », cette force militaire féminine assurant la protection de Kadhafi, sont devenues de véritables esclaves sexuelles.


Kadhafi avait donc lui-même un rapport très particulier à la sexualité et à la violence sexuelle. On a également découvert une chambre ainsi qu’une salle d’examen gynécologique en dessous de l’Université de Tripoli et du fameux « auditorium vert » où il aimait donner des conférences. Son rapport au sexe était un élément dont beaucoup de ses proches parlaient, et certains membres de sa famille ont même parfois pensé qu’il s’agissait là d’un problème psychologique chez le colonel. Cette violence sexuelle était aussi liée à sa façon de concevoir le pouvoir, avec une idée de domination de l’autre, du concurrent, de l’opposant politique. Il lui est arrivé de violer lui-même la femme d’un ministre, ou la fille d’un chef de tribu insoumis, pour pouvoir l’humilier et l’asservir. Il s’agissait donc d’une arme politique dans l’esprit du raïs, lui permettant d’asseoir son pouvoir. On comprend dès lors mieux l’étendue des violences sexuelles en Libye, et leurs dégâts. On comprend également mieux pourquoi Kadhafi, avant d’être exécuté par des insurgés, a été violé. C’est une violence avec une symbolique très particulière pour les Libyens.


Cette stratégie du viol avait tout son sens dans la logique du régime libyen. Le leader a en effet posé un carcan ultra-sécuritaire autour du pouvoir, dans un régime qui se voulait autoritaire. La population cadenassée devait vivre avec des services de sécurité et de renseignement très importants et omnipotents. La machine étatique se voulait concentrée autour de la personne de Kadhafi, avec une certaine paranoïa quant aux risques de déstabilisation et de trahison. Le « roi des rois d’Afrique » s’entourait de membres de sa famille et de sa tribu. Il y a ici une véritable idée de clan, avec la nécessité impérative de le protéger parce que c’est à travers les liens de confiance au sein du clan qu’est assuré l’exercice du pouvoir. Les services de sécurité et de renseignement étaient donc gérés par des personnes très proches de Mouammar Kadhafi, et s’assuraient qu’aucun mouvement de déstabilisation ne puisse naître. Toute opposition naissante était tuée dans l’œuf. Le régime n’hésitait en outre pas à employer les moyens les plus violents face à la contestation, en témoignent les assassinats politiques de personnalités jugées comme proches de la mouvance des Frères Musulmans qu’abhorrait Kadhafi. Le massacre de la prison d’Abou Salim et ses 1260 victimes à la suite d’une mutinerie en juin 1996, est un exemple révélateur de cette répression.

Le viol rentre dès lors parfaitement dans cette logique. C’est un moyen d’annihiler la contestation dès sa naissance. Cette logique est donc planifiée, pensée en haut lieu : élément révélateur s’il en est, le régime livrait lui-même des cartons entiers de viagra à ses soldats, pour que ces-derniers puissent accomplir cette tâche abjecte.


La mort du leader libyen n’a pas enterré cette pratique, bien au contraire. Elle se poursuit aujourd’hui. D’aucuns expliquent que Kadhafi a crée « une culture du viol » dans le pays. La violence sexuelle se serait donc généralisée comme pratique courante utilisée par différents groupes armés. Cette généralisation est aussi la résultante d’un chaos politique et public, et d’une lutte de pouvoir territorial constante. Il serait donc incorrect de n’y voir là que la main du régime libyen et la continuation d’une pratique ordonnée par Kadhafi. D’autres facteurs rentrent en jeu. Ce qu’on remarque en tout cas, c’est que le viol est toujours utilisé aujourd’hui. C’est un outil de vengeance et de terreur aux mains des milices libyennes, les katiba, et utilisé comme loi du talion entre tribus rivales. Encore une fois, cela poursuit un mouvement initié par Kadhafi quant à son rapport aux logiques tribales en Libye. Celui-ci a toujours mené un double-jeu avec les tribus tandis qu’il en privilégiait et favorisait certaines, il en écrasait d’autres pour asseoir sa domination. Le pouvoir du leader libyen est passé en grande partie par cette instrumentalisation des tribus. Aujourd’hui, les rivalités entre ces-dernières demeurent et sont exacerbées par un conflit qui dure depuis 2011. Au-dessus de celui-ci plane l’ombre d’une stratégie du viol qui persiste après la mort de Kadhafi. Un Libyen interrogé dans le cadre du tournage du film Libye, Anatomie d’un crime expliquait : « En ordonnant à ses troupes de violer, il savait ce qu’il faisait : le viol appelle la vengeance, engendre un cycle de représailles sans fin ». Nous avions un seul Kadhafi, nous en avons des milliers aujourd’hui ». Si ce témoignage doit nous interpeller, il ne faudrait pour autant pas le surinterpréter : il est certain que cette stratégie du viol a été initiée par le colonel libyen, néanmoins elle s’auto-alimente aujourd’hui et les raisons de sa persistance sont multiples.


Ce sera l’objet du prochain article de cette série. Le viol est désormais utilisé comme outil de vengeance par les katiba. Il induit dès lors une question de rivalité entre tribus, mais aussi l’idée d’une concurrence entre katiba qui se partagent le territoire et le pouvoir en Libye. Nous reviendrons donc sur le rôle des réseaux tribaux dans la société libyenne et dès lors, sur les conséquences de cette stratégie du viol sur la vie politique du pays.

Martin Chave


Pour aller plus loin, quelques références :

Sur l’organisation du pouvoir en Libye et le régime de Mouammar Kadhafi : – Patrick Haimzadeh, Au coeur de la Libye de Kadhafi, JC Lattès, janvier 2011 – Anne Poiret, « Libye : l’impossible Etat-Nation », Magneto Presse et ARTE France, 2015

Sur l’utilisation du viol dans le conflit libyen : – Cécile Allegra, « Libye, Anatomie d’un crime », Cinétévé et ARTE France, 2018 – « Ni morts, ni vivants, Genèse d’un crime de guerre en Libye », Inkyfada, 08/02/2018, Disponible sur https://inkyfada.com/

Pour en savoir plus sur le travail de WWoW en Libye, et soutenir les réseaux libyens dans leur enquête, cliquez ici.

Photo © Cinétévé


Dernière mise à jour : 24 févr.

Le samedi 31 mars 2018, le Mali a remis à la Cour Pénale Internationale le djihadiste M. Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud « Al Hassan », suite au mandat d’arrêt délivré par la Cour quelques jours plus tôt.


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Il est accusé d’avoir commis des crimes de guerre et crimes contre l’humanité entre avril 2012 et janvier 2013. Il s’agirait notamment de faits de torture, viol et persécution, lorsque la ville de Tombouctou était sous le contrôle de groupes terroristes tels qu’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et Ansar Eddine.


Al Hassan, alors qu’il était commissaire de la police islamique et qu’une quarantaine d’hommes étaient sous sa supervision, aurait procédé à la destruction de monuments religieux ainsi qu’à l’arrestation de nombreuses femmes. Celles-ci auraient été battues, emprisonnées et violées, au motif qu’elles ne respectaient pas les principes dictés par la charia telle que voulaient l’imposer ces groupes.


Cette arrestation a été permise grâce au travail de longue haleine fait par la CPI ainsi qu’au procès d’Ahmed Al-Mahdi, un djihadiste présent au Nord du Mali affilié au groupe Ansar Eddine, condamné à 9 ans de prison pour crime de guerre. Ce dernier a fourni des informations essentielles à la Cour permettant de lancer un mandat d’arrêt contre Al-Hassan.


« L’arrestation de M. Al Hassan et son transfèrement à la CPI envoient un message fort à tous ceux qui, où qu’ils se trouvent, commettent des crimes qui heurtent la conscience humaine », a déclaré Fatou Bensouda, procureure générale de la CPI. « J’espère qu’il signifie au Mali notre détermination et notre résolution à agir comme il se doit et à faire tout ce que nous pouvons pour répondre aux souffrances indicibles infligées à la population malienne ».

A ce jour, l’utilisation du viol comme arme de guerre n’a que très peu de fois était reconnue par la CPI. Néanmoins la condamnation de Jean-Pierre Bemba en 2016, pour son rôle de dirigeant ayant ordonné l’utilisation du viol à l’encontre de la population centrafricaine entre 2002 et 2003, pourrait servir de précédent judiciaire pour l’affaire Al Hassan. Moradeke Badirou



Dernière mise à jour : 24 févr.

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« Les Libériens n’ont pas accepté le statu quo de l’impunité au Liberia ».


Moses Thomas va devoir rendre des comptes. Chef de l’unité spéciale anti-terroriste des Forces Armées du Liberia (AFL), il est soupçonné d’avoir donné des ordres durant la tuerie de l’église Monrovia, épisode des plus sombres de la guerre civile au Liberia.


Le 29 juillet 1990, ses hommes font irruption dans l’église Saint-Pierre de Monrovia et font 600 victimes. Des hommes, des femmes et des enfants. La plupart appartenaient aux tribus Mano et Gio, alors accusées de soutenir la rébellion menée par Charles Taylor et Prince Johnson face au Président Samuel Doe. Le viol est également associé à ce massacre. Les soldats de l’AFL violent ici des femmes de ces tribus Mano et Gio, avant de les exécuter sommairement.

Au Liberia, durant toute la guerre civile, le viol a été massivement utilisé. Ce fut une arme à visée ethnique, utilisée spécifiquement contre certaines tribus. Mais aussi à visée économique, permettant le contrôle de territoires et l’accès à certaines ressources. Le viol vise bien une stratégie multiple, le cas du Liberia étant particulièrement révélateur. L’un des objectifs de #WWoW est justement de mettre en lumière ces éléments et de montrer que c’est une arme pernicieuse à plusieurs facettes.

Les choses avancent : cette plainte déposée contre Moses Thomas fait écho au procès de Mohammed Jabbateh en octobre dernier, pas en avant décisif pour l’établissement d’une justice post-conflit. Lui aussi était accusé de meurtres, de viols, de torture mais aussi d’esclavagisme.

Toutefois, si Moses Thomas est inquiété aujourd’hui, il ne faut pas éluder la responsabilité d’autres criminels. En effet, dans le conflit au Liberia, les bourreaux sont issus de chaque camp. Malgré près de 250 000 morts entre 1989 et 2003, et une Commission pour la Vérité et la Réconciliation établie en 2006, aucun responsable n’a été condamné par la justice libérienne. Charles Taylor purge une peine de 50 ans de prison, mais n’a été jugé que pour ses crimes commis en Sierre Leone. Quant à Prince Johnson, chef rebelle ayant lui-même torturé le Président Doe, il est devenu Sénateur au Liberia, et n’est pour l’instant nullement inquiété pour les exactions commises.

La justice et la reconnaissance des victimes de cette guerre civile, doivent être au centre de la reconstruction du pays et des ambitions du nouveau Président George Weah.

Martin CHAVE


Photo © DR

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