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Dernière mise à jour : 24 févr.

Ces dernières années, le monde a été témoin des crimes de masse commis par l'État islamique (EI) contre la minorité Yazidi en Syrie et en Irak. Le procès en cours en Suède contre Lina Ishaq, accusée de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, marque une étape importante vers la justice pour la communauté Yazidi. Alors que l'accusée a systématiquement nié son rôle dans  les crimes commis contre cette minorité et s'est toujours présentée comme une victime, jouant sur les biais de genre relatif à ce conflit, le tribunal a fait témoigner  des victimes directes et des témoins qui étaient présents en Syrie avec elle et qui ont exposé son rôle dans la commission des crimes par l’EI conte les Yazidis.

 

Le procès se concentre sur le rôle de Lina Ishaq, une ressortissante suédoise qui a rejoint l'État Islamique et a déjà été condamnée par la justice. En effet, en 2022, le tribunal de Stockholm l’a condamné à six ans de prison pour ne pas avoirempêché son fils de 12 ans d’être enrôlé comme enfant soldat en Syrie, où il a été tué lors du conflit. Aujourd'hui, elle fait face à des accusations supplémentaires de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre en raison de sa participation présumée à l'achat et à l'asservissement de femmes et d'enfants Yazidi. Il lui est reproché la réduction en esclavages de plusieurs femmes, des actes de torture, des traitements inhumains et dégradants et la conversion forcée, contribuant ainsi à la persécution systématique de la communauté Yazidi.

 

Les autorités suédoises, en coordination avec UNITAD[1], se sont efforcées d'identifier les victimes Yazidis et de faciliter leur participation au procès. Neuf victimes sont venues d'Irak et d’autres pays où elles ont trouvé refuge, pour témoigner et affronter leur ancienne ravisseuse. Les preuves présentées au cours du procès comprennent les récits des victimes, détaillant les traitements brutaux qu'elles ont subis ainsi que des éléments collectés par les services de renseignement suédois. Le procès met également en lumière les fondements idéologiques de l'État Islamique, qui a justifié ces crimes dans le cadre de son interprétation extrémiste de l'islam.

 

Le rôle des femmes rapatriées, comme Lina Ishaq, qui s'est rendue en Syrie pour soutenir l'EI, est au cœur du procès. Bien qu'aucun des témoignages ne l'ait impliquée dans la commission de crimes sexuels, We are NOT Weapons of War suit le procès afin d'évaluer comment les tribunaux nationaux traitent les cas de violence sexuelle commis par des membres de l'EI. En effet, l’organisation a systématiquement eu recours à la violence sexuelle pendant le conflit, pourtant les tribunaux nationaux n'ont pas encore reconnu et condamné ces actes en tant que graves violations du droit international pénal.

 

En Europe, peu de membres masculins de l'EI - les principaux auteurs de violences sexuelles - ont été arrêtés ou poursuivis. Ce sont plutôt les femmes rapatriées qui ont fait l'objet de poursuites, principalement pour leur association avec une organisation terroriste, plutôt que pour des crimes internationaux. Toutefois, cette situation évolue  à mesure que les systèmes judiciaires prennent conscience des biais de genre qui, historiquement, ont fait des femmes uniquement des victimes, et les reconnaissent désormais comme des criminelles de guerre potentielles. Certains pays poursuivent désormais les membres féminins de l'EI pour l'ensemble de leurs crimes, y compris ceux définis par le droit international. Cette évolution permet de mieux comprendre leurs responsabilités et de rendre une justice adaptée aux réalités endurées par les victimes. Poursuivre les violences sexuelles en tant que crimes internationaux est essentiel pour rendre des comptes et honorer les survivantes Yazidis.

 

Au fur et à mesure que ce procès progresse, We are NOT Weapons of War reste déterminé à défendre les droits des Yazidis et à veiller à ce que les voix des victimes soient entendues. Le procès en Suède est une étape cruciale vers la justice et l'obligation de rendre des comptes pour ces crimes de masse. Il souligne également la nécessité de remettre en cause les préjugés sexistes dans les procédures judiciaires et de reconnaître la violence sexuelle comme un élément essentiel des crimes internationaux. Nous continuerons à documenter les procédures et à fournir des mises à jour sur cette affaire importante.


[1] L’équipe d'enquête pour promouvoir la responsabilité des crimes commis par Daech/ISIL

Dernière mise à jour : 24 févr.


« Ton tour arrive docteur »

C’est par ces mots que tout a commencé, il y a sept ans, en Syrie. Alors que l’actualité fait état des atrocités et de la situation insoutenable que vivent les habitants de la Ghouta – les bombes continuant à tomber et la menace d’une intervention au sol devenant de plus en plus concrète – le pays vient de clore sa septième année de guerre.

C’est un bien triste anniversaire sur lequel nous nous proposons de revenir, pour comprendre comment le régime syrien a réprimé le soulèvement dès le début, et comment les violences sexuelles ont été utilisées pour casser la Révolution dès sa naissance.

L’étincelle, c’est donc une quinzaine d’enfants qui taguent ce graffiti sur un mur, dans la ville de Deraa, dans l’extrême sud de la Syrie. Les plus âgés avaient 15 ans. Les informations divergent sur la date, certains parlent de fin-février, d’autres du début du mois de mars. Une source à Deraa m’indiquait que les enfants avaient tagué le mur le 15 février et furent arrêtés dans les jours qui suivirent. C’est en tout cas à la fin de l’hiver 2011 que tout commence. Ayant vu les événements en Tunisie puis en Egypte, ils inscrivent ces quelques mots destinés à Bachar al-Assad, le raïs est en effet ophtalmologue de formation.

Ils seront arrêtés, torturés, certains auront les ongles arrachés par la Sécurité Politique. Lorsque les parents viendront réclamer leur libération, un homme bien connu à Deraa, Atef Najib, chef de la branche locale de la Sécurité Politique et cousin du Président Assad leur aurait répondu : « Oubliez vos enfants, faites en d’autres. Et si vous n’en êtes pas capables, ramenez-nous vos femmes, on le fera pour vous ». Ce n’était peut-être que des mots, une menace. Mais déjà, l’impudeur et la volonté d’humiliation des forces du régime se laissent apercevoir. Les manifestations à Deraa apparaissent alors, et se multiplient, dans une ville qui ne s’est pourtant jamais rebellée contre le pouvoir comme c’est le cas pour Alep ou Hama. Puis la Révolution se propage. Elle naît dans les périphéries et s’étend dans les villes. Le cas de la Ghouta est d’ailleurs particulièrement révélateur : la contestation est née dans cette banlieue pauvre et délaissée de Damas, avant de gagner certains quartiers centraux de la ville, d’autres restant calmes, souvent les quartiers les plus riches. C’est ici un soulèvement social qui accompagne le soulèvement politique.

La Révolution se propage, les manifestations naissent de partout, et la contestation atteint toute la Syrie. A Deraa, les enfants seront finalement relâchés après plusieurs semaines d’emprisonnement et de torture. Ils deviendront des symboles de cette Révolution, tout comme l’ont été plus tard Thamar Alsharee et Hamza Al-khateeb, deux jeunes de 15 et 13 ans, enlevés, torturés et assassinés par le régime. L’image de leur corps meurtrit est diffusée partout et témoigne de la violence utilisée par le régime.

Il convient ici de rappeler que si l’étincelle de la Révolution fut l’événement de Deraa, celle-ci présente des causes plus profondes. Deraa était l’élément déclencheur. Mais on oublie peut-être parfois de rappeler que le peuple syrien s’est soulevé contre un régime despotique et autoritaire : le parti unique Ba’th contrôlait tout et empêchait, de fait, tout pluralisme de la vie politique. La Constitution donnait d’ailleurs une place centrale à son parti et à son chef, et ce « à vie ». Les médias indépendants n’existaient pas, et les quelques médias privés appartenaient en fait aux proches du clan Assad. La propagande était telle que lors d’un entretien avec un réfugié qui habitait auparavant Alep, celui-ci m’expliquait que plus jeune, il pensait que Dieu et Hafez al-Assad était une même personne. La police politique était partout, et ses possibilités d’arrestation et de méthodes d’interrogatoire étaient très élargies. D’autre part, la Syrie connaissait en 2011 de grandes difficultés économiques, et ce depuis plusieurs années. La corruption y était forte, et le chômage frappait durement les jeunes. Ceux-ci étaient nombreux puisque 57% de la population totale avait moins de 25 ans – caractéristique que l’on retrouve dans tous les pays où l’on a pu voir des soulèvements en 2011. Une population jeune, sans travail, privée de sa liberté d’expression, privée de moyen d’expression politique au sein d’un régime corrompu ; c’est là tout le cœur de la révolte qui a débuté en 2011.

Dès lors, la répression débute elle aussi. L’armée se présente face aux manifestations et ouvre rapidement le feu. Ces dernières étaient pourtant pacifiques, les slogans et les drapeaux étaient les seules armes des manifestants. Un ami syrien d’Alep que j’ai rencontré en Turquie m’expliquait d’ailleurs que l’une des stratégies du régime fut d’insérer lui-même certains individus armés au sein des manifestations pour pointer du doigt une révolte armée, et légitimer ainsi sa répression.

Très vite, la répression va aussi passer par la prison et les tortures qu’on y inflige et par les enlèvements. C’est ce qu’explique très bien le documentaire Disparu, la guerre invisible de Syrie, diffusé sur Arte*. Des personnes sont enlevées en pleine rue, en quelques secondes jetées dans une voiture ou à l’arrière d’une camionnette. C’est ici tout le travail des Mukhabarat, la police politique du régime. Celle-ci a longtemps été dirigée par Assef Chaoukat, un beau-frère de Bachar al-Assad. Il existe plusieurs services de police politique en Syrie, plusieurs services de sécurité, structurés selon une organisation bien précise. La plupart des chefs des branches locales pourraient être accusés d’avoir ordonné et/ou commis des crimes contre l’humanité. La police politique est de plus suppléée par les Chabiha. Là encore, ils auraient été fondés dans les années 1980 par Namir al-Assad, cousin de l’ex-président Hafez al-Assad. Les Chabiha sont des groupes de mercenaires auxquels le régime sous-traite certains services. Ils sont majoritairement composés d’alaouites, la communauté à laquelle appartient le clan Assad ; bien qu’on y trouve quelques sunnites également. Par conséquent, certains massacres impliquant les Chabihas pourraient être qualifiés de crimes génocidaires puisque ces mercenaires alaouites ont parfois assassinés de façon spécifique des populations sunnites.

Ces mercenaires travaillent en outre de pair avec les Mukhabarat. Eux aussi enlèvent et torturent. Au début de la répression, le régime leur demande aussi de se poster sur de nombreux checkpoints où de nombreux cas de viols ont été recensés, comme l’indique un rapport de la FIDH.

Après les enlèvements, c’est l’enfermement et la torture qui attendent les opposants arrêtés. Une fois encore, tout cela est très organisé. La police politique dispose tout d’abord de ses propres locaux d’interrogatoire avant d’amener les opposants en prison. De même, un ami réfugié en France, habitant de Deraa, m’expliquait qu’autour des prisons, d’autres bâtiments publics ont été réquisitionnés pour augmenter la taille des lieux d’isolements, des écoles, des mairies…

Les conditions y sont insoutenables, la torture y est courante, comme le souligne un rapport d’Amnesty International sur la tristement célèbre prison de Saidnaya. Les clichés du « dossier César » corroborent ces éléments. En prison, on meurt surtout du manque de nourriture et du manque de soin m’expliquait mon ami en France. Infestés de puces, les prisonniers se grattent et les plaies infectées non-soignées peuvent entraîner la mort. C’est dans ces conditions que le viol est également utilisé. Ici, c’est une arme de terreur pour forcer les prisonniers à parler, et une arme de répression, pour casser celui ou celle qui a osé se rebeller. Le viol concerne les femmes et les hommes. Les données manquent à ce sujet.


On peut ici citer les chiffres de l’initiative Women Under Siege du Woman Media Center qui a cherché à répertorier les cas de violences sexuelles en Syrie entre mars 2011 et mai 2011 – pas seulement dans les prisons cependant : parmi les cas que ce rapport recense, 80% sont des femmes âgées de 7 à 46 ans, 20% des hommes âgés de 11 à 56 ans. Le viol peut se produire aux checkpoints, dans les locaux de la police politique, ou en prison. Il concerne aussi des enfants, certains adolescents ayant été arrêtés dans des manifestations, d’autres plus jeunes, étant utilisés comme monnaie d’échange. Un rapport de Zero Impunity donne la parole à un ex-brigadier à la prison civile d’Alep qui estimait que 1000 mineurs étaient encore dans la prison.

Cette arme de répression a été utilisée dès les débuts de la Révolution. Elle a été pensée et organisée. Certaines prisons étaient équipées de locaux spéciaux, proches des bureaux de brigadiers et d’officiers, comme en témoignent les femmes du film Syrie, Le cri étouffé*. Le régime a su que cette arme permettait d’humilier, de casser l’individu. De façon répétée et élargie, c’est une arme qui permet de terroriser et de casser l’élan de la révolte. Par ailleurs, c’est un sujet tabou et dans une société où la religion et la culture musulmane tiennent une place importante, il existe un rapport très pudique au corps et de surcroît au sexe. Dans le Coran, il est dit que les relations sexuelles sont une pratique humaine naturelle et saine, mais qu’elles ne sont reconnues que dans le cadre du mariage. Les relations sexuelles hors mariage, la zinâ, sont condamnées dans le Coran. C’est donc une double-peine pour celles et ceux qui ont subi un viol et qui doivent vivre avec et parfois se justifier et expliquer leur non-consentement. Certaines femmes tombent par ailleurs enceintes d’enfants issus du viol. Le rapport de la FIDH recense en outre certains cas de mariage forcé pour de jeunes femmes violées, pour « régler l’affaire ».

Le viol a aussi été utilisé comme arme de chantage, comme me l’expliquait une source actuellement à Deraa. Certaines personnes ont été enlevées par le régime qui menaçait de les violer pour faire parler les membres de sa famille. Ainsi, dès la naissance de la Révolution syrienne, le régime a mis en place cette stratégie du viol pour tuer la contestation dans l’œuf. La pratique a été moins observée par la suite, lorsque la crise s’est transformée en guerre civile régionalisée puis internationalisée. Néanmoins, elle réapparaît lorsque le régime regagne du terrain, notamment dans la reprise d’Alep. Les forces du régime cherchent à humilier la rébellion, mais aussi à punir et à se venger des quartiers qui se sont soulevés. L’idée est aussi de terroriser les autres villes pour les pousser à se rendre.

Enfin, il convient de souligner un point important : si cet article mets au ban de l’Humanité le régime de Bachar al-Assad pour son utilisation systématique du viol, il ne faudrait pas pour autant rester aveugle face aux agissements des autres parties du conflit. Le viol a été utilisé par d’autres groupes, même si la majorité de cas recensés semblent indiquer les agissements du régime. L’Etat Islamique et l’esclavage sexuelle des femmes yézidies doivent tout autant nous indigner, et c’est un élément qui a été assez médiatisé. Il convient de rappeler ici qu’outre les Yézidis, d’autres communautés ont souffert aux mains de l’EI, les Chrétiens, les Chiites, mais aussi de nombreuses populations sunnites. Enfin, d’autres groupes rebelles se sont livrés à cette pratique, notamment des groupes issus de ce qu’on a appelé « l’Armée Syrienne Libre ».


Le rapport de la FIDH recense plusieurs cas de viols perpétrés par des soldats de l’ASL. Ces violences sexuelles ont là aussi été accompagnées d’enlèvement, de torture, et parfois d’assassinat. En temps de guerre, la violence est partout et n’est pas l’apanage d’un groupe particulier. Il convient donc de reconnaître toutes les victimes, et de poursuivre tous les coupables, quels que soient les groupes auxquels ils appartiennent. C’est un bien triste anniversaire oui. Depuis sept ans, la Révolution baigne dans le sang de la répression. Alors que faire ? Si la communauté internationale est bloquée, pouvons-nous vraiment espérer quelque chose ? Et bien oui. Si la communauté internationale ne bouge pas, il faut alors « court-circuiter » le système. L’action et l’intervention n’appartiennent pas à la communauté internationale. Si celle-ci est bloquée, il faut utiliser nos propres voies pour agir : en s’appuyant sur des ONG locales, en travaillant avec un réseau sur place, en multipliant les partenariats entre ONG.

La réponse à apporter doit être multisectorielle. C’est au cœur de l’engagement de WWoW. Le viol de guerre touche des domaines tout à fait différents, et il convient de travailler sur chacun d’entre eux. C’est ce que nous répétons depuis plusieurs années pour que la réponse se fasse sur le plan médical, psychologique, mais aussi sur le plan juridique et social. WWoW insiste également beaucoup sur le besoin de formation : il est indispensable de former des professionnels pour recueillir les témoignages des survivant.e.s, ce qui doit se faire selon une méthode spécifique et adaptée à leur traumatisme. WWoW est en train d’organiser des formations pour le cas libyen, et l’on peut tout à fait envisager que celles-ci soient répétées dans d’autres pays. Enfin, le viol de guerre est un crime très difficile à prouver. Il faut donc regrouper des témoignages, les croiser, pour faire ressortir des faisceaux de preuves. C’est là l’une des ambitions de l’outil BackUp que nous développons, et qui permettra de collecter de façon efficace et sécurisée des témoignages et des données, pour pouvoir ensuite constituer des dossiers juridiques. * Nivelle-Cardinale Sophie, Huver Etienne, Disparus, la guerre invisible de Syrie, Arte France, 2015. * Loizeau Manon, Syrie, le Cri étouffé, France 2, 2017.

Martin CHAVE


Photo © DR Traduction : « Le peuple veut la chute du régime ». Attention, il ne s’agit pas du graffiti inscrit par les enfants de Deraa, mais d’un autre graffiti qui a suivi au cours du soulèvement.


Dernière mise à jour : 24 févr.


« Pour quelle raison devrions-nous lutter encore, alors que la terre entière est liguée contre nous ?Pourquoi devrions-nous combattre? Pour la Ghouta? Qu’elle repose en paix, il ne reste que des cendres ».


Ces quelques phrases sont issues d’une lettre de Ward Mardini, témoignage du cœur de la Ghouta, écrite aujourd’hui même et publiée par l’association SyrieMDL (Syrie Moderne, Démocratique et Laïque).

La Ghouta vit bel et bien un massacre, perpétué par le régime de Bachar al-Assad, accompagné de son allié russe – bien que le Kremlin démente toute implication de ses avions dans les bombardements.


Il faut bien comprendre que la Ghouta n’est pas une ville syrienne. C’est une large zone située dans la banlieue de Damas, qui représentait auparavant un lieu de sortie le week-end pour les habitants de la capitale. Elle est composée de plusieurs villes, chacune portant son lot de désolation. Douma s’est vue particulièrement touchée par les bombardements à l’arme chimique en août 2013. C’est aussi le cas de Hammouriya. Plus à l’ouest, Daraya est devenue tristement célèbre pour avoir vu ses habitants affamés se nourrir d’herbe, tandis que le régime maintenait un siège sur la ville. Cette stratégie qui consiste à affamer une population en organisant un siège et en bloquant tout convoi humanitaire a été généralisée dans toute la Ghouta, notamment dans les villes de Babila, Qudsaya, Moadamiya, et bien d’autres encore… Oui, la Ghouta aura tout connu : la famine, les armes chimiques, et une nouvelle fois aujourd’hui, les bombardements massifs.





Le régime de Bachar al-Assad a en effet lancé une vaste offensive depuis début février. Déjà en janvier, des attaques chimiques avaient été recensées sur la Ghouta. Aujourd’hui, Rami Jarrah, activiste et journaliste syrien très actif et en contact avec des civils sur place, parlait de 322 victimes dont 76 enfants. 9 hôpitaux ont été visés par les bombardements, stratégie utilisée par le régime tout au long du conflit. La Ghouta abrite encore 350 000 civils, vivant sous siège depuis 2012. Plusieurs groupes rebelles y sont également présents : certains sont modérés, d’autres se revendiquent de l’islam radical. On notera que l’Etat Islamique ne semble pas présent dans la Ghouta, en revanche Hayat Tahrir al-Cham (ex Al-Nosra) y possède des groupes. Si le régime déclare bombarder la zone pour se débarrasser de ces groupes rebelles, les civils sont une nouvelle fois les premières victimes.

De nombreuses ONG et Organisations Internationales ont appelé à un cessez-le-feu et à une réaction de la part de la communauté internationale. La déclaration « page blanche » de l’Unicef est particulièrement marquante. Geert Cappelaere, directeur régional de l’Unicef pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient a préféré laisser parler son incrédulité et a montré qu’il n’a plus les mots : « Aucun mot de rendra justice aux enfants tués, à leurs mères, leurs pères, à ceux qui leur sont chers ».


D’autres ont rapproché ce massacre des heures les plus sombres de notre Histoire. Disons même plutôt que les comparaisons ont visé la façon dont les autorités internationales détournent le regard. Ainsi le massacre actuel dans la Ghouta nous rappelle Grozny, ou encore les camps de Sabra et Chatila. The Guardian compare même la situation avec le massacre de Srebrenica en Bosnie en juillet 1995.

Ces comparaisons sont-elles utiles au fond ? On ne parle finalement pas des mêmes situations, les contextes des conflits varient énormément, les acteurs en jeu aussi… Il est d’autre part assez indécent de considérer que tel massacre « est pire » que tel autre. Il n’y a pas de classement de la souffrance, et chercher à savoir qui souffre le plus est au fond assez vide de sens.

Toutefois, ces comparaisons nous permettent de réaliser que l’histoire se répète. Les grands discours du « Plus jamais ça » deviennent de belles chimères, et nous renvoient à l’hypocrisie de la « communauté internationale », si tant est qu’on puisse la nommer ainsi.

Ce qui se répète aussi, c’est la stratégie de la destruction totale de Bachar al-Assad. Le docteur ne veut pas simplement reprendre la Ghouta, il veut enterrer toute forme d’opposition. C’est la même stratégie de destruction complète à laquelle on a pu assister à Alep où il ne reste plus rien. La même qu’à Daraya : 80 000 habitants en 2010, 4000 aujourd’hui après un siège, la famine et des bombardements qui ont détruit 90% de la ville. C’est une stratégie qu’on risque de retrouver prochainement à Idleb, lorsque le régime et ses alliés voudront reprendre la ville.


De façon plus large, c’est un leitmotiv commun au clan Assad. Déjà de son temps, Hafez al-Assad savait déployer un arsenal colossal pour enterrer la révolte. Le massacre à Hama en 1982 ressemble tristement à celui que l’on vit aujourd’hui. Elément souvent oublié, il avait suivi le massacre de 1000 prisonniers dans la prison de Tadmor à Palmyre, ordonné par le frère de Hafez, Rifaat al-Assad. Ce-dernier est d’ailleurs actuellement poursuivi par Trial International, qui mène un combat incroyable pour la justice.


La Ghouta est un lieu de désolation, d’un cauchemar éveillé pour les Syriens. Mais pour comprendre l’offensive menée par le régime, il convient d’analyser la situation en termes stratégiques. En voulant remettre la main sur la Ghouta, le régime cherche en fait à sécuriser la capitale, Damas. Là encore, Bachar al-Assad poursuit une stratégie voulue par son père : Hafez al-Assad était convaincu que quiconque contrôlait Damas, détenait toute la Syrie. Et, à travers Damas, c’est le clan alaouite que les Assad ont toujours cherché à protéger. Déjà en 1970, Hafez al-Assad avait encouragé des dizaines de milliers de familles alaouites à s’installer autour de la capitale. Damas est ainsi devenue la ville hébergeant le plus d’Alaouites en Syrie, plus encore que Lattaquié, fief historique de la communauté.

Les alaouites appartiennent à une branche sectaire du chiisme, et représentent 10-13% de la population syrienne, celle-ci étant majoritairement sunnite (80%). Le clan Assad au pouvoir est alaouite et cherche à protéger sa communauté.


C’est ici l’asabiyya dont nous parlait Michel Seurat, lui qui avait analysé la barbarie du régime bien avant les événements de 2011, et qui l’a payé de sa vie*. L’asabiyya, concept d’Ibn Khaldoun repris par M. Seurat, pourrait se traduire par la « communauté de sang et de destin », c’est le « groupe de solidarité ». Seurat explique que dans la façon dont le clan Assad a pris le pouvoir et l’a conservé, cette asabiyya a toujours été centrale : Hafez puis Bachar al-Assad ont toujours voulu protéger la communauté alaouite et se sont toujours entourés de membres de cette communauté. Ainsi, il n’est pas surprenant de retrouver les frères, les cousins ou les beaux-frères de Bachar al-Assad aux plus hauts postes du pouvoir. Il est important de noter que cette « communauté des destins » n’est pas uniquement basée sur le facteur religieux, mais aussi sur l’appartenance locale (quartier, clan).

Loin de vouloir réduire la guerre civile syrienne à un conflit communautaire – les lectures politiques, sociales et économiques se superposent à cette dimension – l’idée ici est simplement de montrer la stratégie d’Assad autour de la Ghouta, et ce qu’il vise à travers les bombardements incessants. L’idée est de sécuriser la capitale, de protéger son clan, et de montrer aux Damascènes qu’ils n’ont plus à craindre des attaques venues de l’extérieur de la ville.

L’Iran soutient quant à lui totalement cette stratégie à dessein : les aéroports autour de la capitale sont le principal moyen pour Téhéran d’approvisionner le Hezbollah libanais en armes. Les soldats chiites iraniens ou libanais sont en outre nombreux à se battre autour de Damas. La mosquée de Sayyida Zeinab à Damas est un grand lieu de pèlerinage chiite, et, souvent visée par des roquettes rebelles, elle a incité de nombreux combattants chiites à s’engager dans la bataille.


La Ghouta est donc prise dans une stratégie qui la dépasse. Assad veut établir un périmètre de sécurité tout autour de Damas et ne va pas s’arrêter. Après la pluie de bombes, on redoute désormais une offensive terrestre comme le laissait penser le quotidien Al-Watan proche du régime. Une opération au sol pourrait s’accompagner des mêmes atrocités que lors de la reconquête d’Alep, où soldats et miliciens proches du régime ont procédé à des exécutions sommaires dans les habitations et à des viols. Certains témoignages semblent même montrer que des mères de familles ont préféré tuer leurs filles et se suicider plutôt que d’être violées par les troupes du régime.

Assad va continuer sa marche vers l’abominable. On le savait. On le sait. C’est à la communauté internationale de décider de rester dans le silence ou de lever la voix.

Alors que nous reste-il à faire ? Après de tels propos, on se sent impuissant. Et bien il faut s’indigner. C’est une réponse bien peu suffisante face aux atrocités qui se déroulent, mais ne pas détourner le regard, être conscient de ce qui se passe, c’est la première réponse à avoir.

Il y a quelques années encore, un vieux Monsieur, très sage, nous le disait : « Indignez-vous ! », pour ne pas que l’histoire se répète, pour ne pas que les crimes se renouvellent.


Comme un symbole, cette offensive du régime intervient alors que la Révolution syrienne – parce que oui, avant d’être une guerre civile, c’est une Révolution du peuple syrien pacifique – est entrée dans sa septième année.

Comme un symbole, le reportage de Zein al-Rifai, journaliste syrien exilé, sera diffusé dans l’émission Arte Reportage samedi 24 février à 18h30. Réalisé par Suzanne Allant, « Syrie, de cendres et d’espoir » nous montre une Syrie sous les bombes qui veut continuer à respirer.

* L’ouvrage de Michel Seurat en question, « Syrie, l’Etat de barbarie », PUF, Coll. Proche-Orient, 2012.


Martin CHAVE




Photo © SyrieMDL Facebook.



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