top of page

BLOG

Dernière mise à jour : 24 févr.


«En Libye, ils détestent les personnes noires. Ils nous traitent comme des esclaves et des animaux. Nous avons été arrêtés sans aucune raison, une fois détenus, nous ne pouvions plus être libérés à moins de payer une grosse somme d’argent ou de mourir lentement»

MIGRANT NIGÉRIEN, RETOURNÉ CHEZ LUI EN DÉCEMBRE 2017*



Au delà des violences sexuelles commises en temps de conflit, qui sont prégnantes en Libye, se pose aujourd’hui la question de la condition des migrants et réfugiés sur le sol libyen. Le 20 septembre 2018, la Mission Politique des Nations Unies pour la Libye (UNSMIL – United Nations Support Mission in Libya) et le Bureau des droits de l’Homme des Nations Unies (OHCHR – United Nations High Commissionner for the Humans Rights) ont publié un rapport faisant état de la situation des migrants et réfugiés en Libye. Cette étude faisait suite à un rapport déjà publié par ces deux mêmes instances en 2016 concernant les abus relatifs aux droits de l’Homme en Libye*


Ce rapport fait alors état de la situation d’horreur, inimaginable, à laquelle les migrants font face en Libye. Dès leur arrivée, ils sont victimes d’actes illégaux et de grande violence : mauvais traitements, torture, meurtres. Ils font également l’objet de détentions arbitraires, de viols et autres violences sexuelles. Réduits en esclavage ou obligés à effectuer des travaux forcés, ils sont de plus extorqués et exploités par des agents étatiques et non étatiques. A cela s’ajoutent des conditions de détentions inhumaines, bien en dessous des standards internationaux exigés.


Un tel constat se dessine au travers d’un contexte de chaos qui règne sur la Libye depuis quelques années. En effet, depuis les soulèvements contre le régime de Mouammar Kadhafi et le renversement de ce dernier, la Libye peine à réinstaller un état de droit et ne parvient pas à mettre un terme à une guerre civile dans laquelle elle s’enlise. Aujourd’hui, cet Etat surmonte une crise sécuritaire et humanitaire sérieuse se caractérisant par des violences constantes, la fragmentation des institutions nationales et le dysfonctionnement de l’appareil judiciaire. Une telle instabilité créé un environnement fertile à la prolifération d’activités illicites et criminelles, notamment le trafic d’êtres humains, touchant en premier lieu les migrants et les réfugiés. Due à sa localisation géographique et ses ressources pétrolières, la Libye est, en effet, devenue une plaque tournante des questions migratoires. La combinaison de ces différents facteurs aboutit au fait que la Justice Libyenne se retrouve dans l’incapacité d’assurer le respect des droits de l’Homme aux réfugiés et migrants qui font face à de plus en plus d’abus.



Pourtant l’Etat libyen est partie à un ensemble de traités internationaux de droit international humanitaire, comme la Convention contre la Torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984. Ainsi, même s’il ne dispose pas de législations ni de procédures relatives aux traitements des demandes d’asile, il est tenu par certains engagements internationaux tels que la protection de tout individu quelque soit leur statut de migrants ou réfugiés. Il est également tenu d’assurer une prohibition stricte de la torture et autres traitements dégradants, des détentions arbitraires et de l’esclavage. Doivent aussi être garantis les droits relatifs à la libertéet la sécurité de la personne. L’interdiction des détentions arbitraires des migrants en situation irrégulière est par ailleurs rappelée par l’article 9 de la Convention Internationale sur les droits civils et politiques, ratifiée par la Libye.


Malgré tout, la législation libyenne criminalise l’entrée illégale sur le territoire – sans distinguer les individus selon qu’ils soient migrants, réfugiés ou demandeurs d’asile – et applique à ces individus des peines pénales. Alors qu’ils sont déjà dans une condition d’extrême vulnérabilité, de par leur passé et leur statut de migrants ou réfugiés, ces derniers se voient appliquer le régime de la Loi n°19 sur la lutte contre l’immigration illégale, adoptée en 2010. Cette loi permet la mise en détention des migrants et réfugiés en situation irrégulière en attendant leur expulsion. L’article prend tout de même le « soin » de préciser que les individus doivent être traités dans des conditions humaines respectant leur dignité et leurs droits, sans atteintes à leur intégrité physique ou leurs biens. Dès lors, une écrasante majorité de migrants et réfugiés en Libye tombent sous le régime de la loi n°19 et font l’objet de détention d’une période indéfinie en attendant leur expulsion. Mais contrairement à ce que préconisent les obligations internationales engageant la Libye et l’article 10 de la loi n°19, ces détentions se déroulent dans la grande majorité des cas, si ce n’est tous, dans des conditions inhumaines et dégradantes, dont le rapport de l’UNSMIL fait un bilan alarmant.

«{En tant que migrant ou réfugié}, vous êtes tout le temps terrifiés en Libye. Vous dormez tout en gardant un oeil ouvert. Vous êtes vendus d’un passeur à un autre »

SOMALI, DEMANDEUR D’ASILE.*


A travers tout le pays, sont retrouvés des corps de migrants dans des poubelles, dans des lits asséchés de rivières ou dans le désert. Ils présentent des plaies par balles, des traces de tortures ou encore de brûlures. L’UNSMIL a obtenu les témoignages d’environ 1,300 migrants ou réfugiés qui ont vécus où vivent actuellement cette situation et a visité près de onze centres de détention. Le constat est affligeant.


Conditions d’hygiène plus que défaillantes, sérieux manques de ventilation et de lumière, malnutrition, famine, confinement constants sans contacts avec l’extérieur … Lors de ses visites, il a été manifeste pour l’UNSMIL que les conditions de vie dans lesquelles sont placés les détenus violent nombre de droits de l’Homme et leur font perdre toute dignité. C’est sans surprise, que sont constatés de nombreux cas de maladies infectieuses telles que des infections cutanées, des infections respiratoires, des diarrhées aiguës et bien évidemment un accès aux soins inadéquat. Femmes et enfants sont détenus avec les hommes, et les enfants dans les mêmes conditions que les adultes. Sont alors rapportés des cas de tortures, mauvais traitements, travaux forcés, viols et autres violences sexuelles perpétrés par les gardes, en charge de la surveillance de ces centres de détention. La majorité des femmes et jeunes filles interrogées par l’UNSMIL indiquent avoir été violées ou avoir fait l’objet de violences sexuelles que ce soit par les passeurs ou par les gardes des centres de détention. Toutes ces violences ainsi rapportée seraient alors perpétrées dans le but d’extorquer de l’argent aux familles des détenus. Est en effet dénoncé ici un système complexe de transferts d’argent illégal étendu à un certain nombre de pays. La mise en esclavage de ces migrants et le marché qui en découle sont donc toujours bien d’actualité en Libye, même après le tollé international qu’avait déclenché les images filmées par CNN pour dénoncer l’esclavage des migrants.


Mêmes libres, les migrants ne se sentent pas en sécurité en Libye, et pour cause, ils risquent à tout moment de faire l’objet d’arrestations arbitraires suivies de détentions injustifiées. Ceux qui ont une profession se font exploités par leur employeur qui ne les paye pas. Tous ces migrants et réfugiés, dont les droits ont été violés, n’osent pas alors, porter plainte, par peur de faire l’objet d’une arrestation par les forces de police.


Le tableau s’assombrit encore plus lorsque le rapport dénonce l’apparente «complicité de certains acteurs étatiques, notamment de responsables locaux, de membres de groupes armés officiellement intégrés aux institutions de l’État et de représentants des ministères de l’Intérieur et de la Défense, dans le trafic illicite ou le trafic de migrants et de réfugiés».Ces acteurs s’enrichiraient grâce au trafic d’être humains et extorsions dont les migrants sont victimes …


Une telle situation ne peut laisser indifférent, et pourtant fait aujourd’hui l’objet d’une impunité totale. L’Etat libyen est dans l’incapacité, voire dans le refus d’exercer la justice face à ces exactions. Bien que le Rapport recommande fermement qu’il soit mis fin à toutes ces violations des droits de l’Homme et qu’il enjoigne aux Etats européens d’assurer le respect de ces droits dans leur collaboration avec la Libye, force est de constater que l’instabilité du pays n’est pas propice à un tel rétablissement.


C’est face à cette impunité totale que We Are Not Weapons of War se dresse. Céline Bardet, fondatrice et directrice, travaille en Libye depuis 2011. En 2013, à l’Assemblée Générale des Nations Unies, elle avait d’ailleurs présenté avec le ministre de la justice libyen de l’époque un projet de loi pionnier sur les victimes de violences sexuelles dans le conflit libyen. Depuis, l’équipe de WWoW continue de travailler sur les cas de violences sexuelles en Libye, en lien avec des réseaux locaux qui risquent chaque jour leur vie pour réunir des documents et des éléments de preuve. Ce travail de longue haleine est en outre relaté dans le film de Cécile Allegra, Libye, anatomie d’un crime . Les contacts de WWoW à Tripoli envoient très régulièrement de nouveau dossiers à traiter, contenant des témoignages sur les sévices sexuels qui minent le pays. L’approche de WWoW se veut globale en apportant une réponse à toutes les victimes : les Libyens et Libyennes, de toutes les tribus du pays, mais aussi les migrants venus de différents pays d’Afrique qui passent par les centres de détention libyens sur la route de l’exil.


Juliette VANDEST



*UNSMIL/OHCHR « Desperate and Dangerous: Report on the human rights situation of migrants and refugees in Libya » – 20 December 2018, p.25


*UNSMIL/OHCHR,“Detained and Dehumanized”: Report on Human Rights Abuses Against Migrants in Libya, 13 December 2016, available at:


*UNSMIL/OHCHR « Desperate and Dangerous: Report on the human rights situation of migrants and refugees in Libya » – 20 December 2018, p.26


  • 20 oct. 2018
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

Les deux premiers articles de cette série nous ont permis de revenir sur l’utilisation du viol et des violences sexuelles dans le conflit libyen. Arme de répression politique sous le régime de Kadhafi, elle reste employée après la mort du colonel comme outil de vengeance entre tribus mais aussi comme instrument de conquête du territoire et du pouvoir par les milices libyennes, les katiba.


Il est essentiel de bien comprendre que l’on parle ici d’une arme. Elle est donc employée à dessein, elle poursuit des objectifs précis. Et ceux-ci sont souvent politiques en Libye. Pour le régime de Kadhafi, il s’agissait de conserver le pouvoir et le viol permettait donc de faire taire l’opposition. Après la mort du leader libyen, la lutte de pouvoir se fait entre les milices qui recouvrent le territoire. Le viol devient dès lors un moyen d’effacement politique des concurrents. Comme on a pu le voir hier, le viol laisse des séquelles irréversibles sur sa victime, mais aussi sur sa tribu d’appartenance, alors même que les réseaux tribaux sont des organes centraux de la vie politique libyenne. Dans ce cadre, il touche de très nombreux hommes en Libye, puisque ce sont eux qui animent la vie politique et publique.

Cet article se propose de revenir sur ces hommes, victimes souvent oubliées du viol de guerre, pour lesquelles le trauma et les conséquences de cette violence sont particuliers. Nous parlerons également des autres victimes de la violence sexuelle en Libye, les migrants. Le pays est en effet un point de passage pour de nombreuses personnes fuyant leur pays. Tandis que l’Aquarius se voit refuser l’accueil par de nombreux pays européens dans une indignité qui n’a d’égal que l’absurde aveuglement de l’Europe face aux phénomènes migratoires – et à leur avenir – ; peu de choses sont dites sur les conditions de ces migrants sur la route de l’exil. Les débats se concentrent majoritairement sur leur arrivée et leur accueil, mais très peu sur les souffrances qu’ils ont parfois à traverser. En Libye, les sévices sexuels touchent nombre de ces migrants.


Avant toute chose, il convient de dire ici que certains passages de cet article peuvent paraître choquants ou malséants. Le viol est un acte brutal, et le lecteur doit en être averti. Il ne s’agira pas ici de porter atteinte à la dignité ou à la pudeur des victimes pour lesquelles il convient de témoigner le plus profond respect. Cet article ne se veut donc pas une mise en lumière impudique et irrespectueuse des souffrances endurées par certaines victimes, mais une analyse fondée, qui nécessitera parfois l’emploi de précisions qui ne se veulent pas indécentes mais pourront paraître violentes pour le lecteur.


Le viol amène ses victimes à se terrer dans le silence. Elles semblent disparaître, mais vivent en réalité avec ce fardeau, sans en parler. Le viol de guerre relève d’un tabou très difficile à briser.

En Libye, cette violence sexuelle fait des victimes chez les femmes, les enfants et les hommes. C’est de ces-derniers que parle tout particulièrement le film Libye, Anatomie d’un crime réalisé par Cécile Allegra. Il veut montrer l’utilisation du viol dans le conflit libyen, avec un éclairage particulier sur la violence sexuelle utilisée à l’encontre des hommes. Plusieurs d’entre eux témoignent de cette violence extrême, de cette humiliation, répétée pour chacun avec des méthodes similaires. On suit le travail de Céline Bardet, fondatrice de We Are Not Weapons of War, et des réseaux libyens, médusés et indignés face à cette violence, mais qui veulent venir en aide aux victimes.


Ces sévices sexuels sont souvent infligés dans les prisons et centres de détention libyens. Certains sont officiels, d’autres sont des centres clandestins, nés à la faveur de la guerre. Dans un quartier de Misrata, la prison de Tomina aurait accueilli pendant un temps plus de 450 hommes. Au cœur de celle-ci, les prisonniers se verraient contraints de s’enfoncer un manche à balai encastré dans un mur dans l’anus, parfois jusqu’à saignement, sans quoi ils ne recevraient pas de repas. Cette pratique ignoble a été corroborée par plusieurs témoignages, et elle semble avoir été signalée dans d’autres prisons également. La répétition de cette pratique dans des endroits différents montre que la méthode est systématique et donc pensée et ordonnée en haut lieu. Dans les interviews réalisées dans le cadre du film Libye, Anatomie d’un crime, un homme Tawergha témoigne avoir été détenu dans la prison de Saket puis celle de Tomina. Il y aurait été torturé par trois hommes qui viendraient probablement de Zliten, à quelques kilomètres au sud-ouest de Misrata. Ses geôliers l’auraient sodomisé avec un bâton, et frappaient avec un rasoir lorsqu’il résistait. Cela lui serait arrivé deux ou trois fois, et il aurait toujours des cicatrices aux jambes. Il témoigne de plus avoir vu des prisonniers contraints de « se monter dessus ».


Les violences sexuelles adressées aux hommes libyens sont bien une réalité. Elles sont corroborées dans différents lieux en Libye et à différentes dates. Il faut bien comprendre qu’il s’agit le plus souvent de viols extrêmement violents, utilisant parfois des objets, souvent répétés. Il ne s’agit que très rarement d’actes uniques et isolés. Les victimes sont parfois violées chaque jour au cours de leur détention. Le trauma est donc très particulier, et les conséquences multiples. Elles sont d’abord d’ordre physique : les viols étant d’une extrême brutalité, les victimes peuvent avoir des fractures, des plaies, et donc des besoins chirurgicaux. Ce sont des séquelles durables : certaines victimes ont des problèmes d’incontinence, ou se rendent compte qu’elles ont été infectées par des maladies sexuellement transmissibles. Cela ne doit rien au hasard. Ces viols veulent laisser des séquelles, « une marque à vie » comme l’expliquait un médecin tunisien rencontré durant le tournage du film. Les conséquences sont aussi psychologiques. De très nombreuses victimes entrent dans des états de dépression ou d’anxiété aiguë. Beaucoup de victimes s’isolent avec un sentiment d’humiliation mais parfois aussi de culpabilité. Les tentatives de suicide après de telles violences sont fréquentes. Les hommes se terrent dans le silence. Souvent, ce sont les besoins médicaux qui amènent les hommes à parler : c’est seulement parce que l’individu se doit d’aller voir un médecin pour bénéficier de soins, que la parole se libère un peu parfois. D’où l’importance de travailler avec des réseaux de médecins, chose sur laquelle insiste beaucoup l’équipe de WWoW, puisque les services médicaux sont parfois les premiers relais pour les victimes de violences sexuelles.

Enfin, les conséquences se laissent apercevoir à un niveau plus large, celui de la vie sociale et publique. Une victime, homme ou femme, devient profondément stigmatisée. Garder des relations avec le reste de la communauté devient difficile. C’est bien là tout le vice de cette arme abjecte. Elle veut faire disparaître sa victime de la sphère publique, sans la tuer. En Libye, la vie politique est particulièrement animée par les hommes. Dès lors, en violant ces-derniers, ce sont des voix, des projets, des idées que l’on enterre. Une omerta complète se crée alors. Les hommes violés se refusent à parler. Les viols sont en effet souvent réalisés en public, devant d’autres prisonniers ou des gardes. Très souvent, ces sévices sont filmés avec des téléphones portables. Les hommes préfèrent donc se taire et s’effacent dès lors de la sphère publique : ils savent en effet que leurs bourreaux peuvent dévoiler ce qui leur est arrivé, et vivent donc dans la peur que cela se sache.


Un autre groupe de victimes souvent oubliées dans la guerre en Libye concerne les migrants. La Libye accueille en effet de très nombreuses personnes. En 2014, le pays comptait 36 000 demandeurs d’asile venus de Syrie, de Palestine, d’Irak ou encore d’Erythrée. Mais la Libye n’est pas tant une terre d’accueil des migrants qu’une terre de passage. Entre janvier et octobre 2014 seulement, 130 000 personnes sont arrivées en Italie depuis la Libye. Les migrants venus d’Afrique de l’est (Soudan, Ethiopie, Somalie, Erythrée) passent très souvent par la région d’al-Koufra ; tandis que ceux d’Afrique de l’ouest (Cameroun, Niger, Nigéria, Tchad) passent souvent par la ville de Sebha.

Il existe dans le pays de très nombreux centres de détention pour ces migrants. Avant la guerre, ceux-ci étaient gérés par le Ministère de l’Intérieur. Mais depuis la chute de Kadhafi, une unité séparée a été créée en 2012, le Département de Lutte contre l’Immigration Illégale. Celui-ci compterait 19 centres de détention à travers le pays, surtout concentrés à l’ouest. Mais très souvent, ces centres de détention ont changé de main. Au cours des affrontements, ils ont pu passer sous contrôle du Département ou sous contrôle de diverses milices, rendant les conditions de vie pour les migrants encore plus difficiles.


Ces derniers sont eux aussi une cible privilégiée de violences sexuelles. Des témoignages proviennent du centre de Sabratah, à l’ouest de Tripoli, sur la côte. Les violences sexuelles semblent aussi toucher les migrants dans l’infâmeuse prison Abou Salim à Tripoli, mais également dans les centres de détention d’Ain Zara, de Sabha, de Garian ou encore de Bani Walid plus au sud. Dans ces centres, des migrants venus de Gambie, du Ghana, du Cameroun ou encore du Nigéria sont quotidiennement abusés sexuellement.

Ces exactions sont même allées plus loin. Les images filmées par des journalistes de CNN et montrant des ventes aux enchères de migrants, ont choqué le monde. Souvent, ces individus étaient violés pour être rendus plus dociles avant d’être vendus. Plus récemment, des témoignages recueillis sur le bateau l’Aquarius sont également sortis et indiquent que les migrants passés par la Libye ont souvent subis des violences sexuelles. Maurine Mercier, journaliste pour la RTS, a notamment mené un travail journalistique formidable en donnant la parole à de nombreuses personnes en Libye et sur l’Aquarius. Elle a notamment interrogé un homme qui témoigne d’une réalité qui semble indicible et explique que les migrants sont forcés de se sodomiser entre eux tandis que les gardes libyens filment la scène avec leur téléphone.

Enfin, il convient ici de mettre en exergue une autre pratique révélée par divers témoignages : certains migrants ont été contraints dans des centres de détention de violer d’autres prisonniers. Il s’agissait souvent de migrants eux-mêmes violés auparavant et que les gardes forçaient à violer d’autres détenus par la suite. Une victime interrogée dans le cadre du film Libye, Anatomie d’un crime témoigne : « il y avait un homme noir, un migrant. Le soir, ils le jetaient dans l’une de nos cellules. Ils disaient ‘tu violes ce type, sinon tu es mort’ ». Ici, cela pose des questions juridiques en termes de responsabilité pénale du viol. On peut ici dresser un parallèle avec les enfants soldats, utilisés comme des « instruments de guerre ». Comparaison n’est pas raison puisqu’il ne s’agit pas ici du même type d’exactions. Mais on retrouve le cas d’individus contraints d’agresser des victimes, utilisés alors comme instrument de cette souffrance. Il convient alors de différencier l’intentionnalité et l’ordre du viol donné par les gardes, de la commission du viol elle-même et de son auteur.


La Libye est un lieu de souffrance pour des victimes très diverses. Cet article, qui ne veut en aucun cas verser dans l’impudeur, témoigne d’une réalité sordide dans un pays miné par le chaos. Si nous avons particulièrement parlé des hommes et des migrants ici, il convient de rappeler que les femmes sont elles aussi bel et bien victimes des violences sexuelles. Femmes et enfants sont souvent les premières victimes d’un conflit, et c’est aussi le cas en Libye. Le viol les touche également et il convient de ne pas l’oublier. Le film Libye, Anatomie d’un crime, qui sera diffusé le 23 octobre sur Arte, donne d’ailleurs la parole à une femme qui témoigne avec courage des abus qu’elle a subis durant le conflit. Mais il semblait ici pertinent de s’intéresser aux violences sexuelles à l’encontre des hommes : elles ont lieu en Libye, mais sont aussi très présentes dans le conflit syrien, ou encore en Ouganda.

Il convient dès lors de répondre à toutes les victimes de ces violences, hommes, femmes, enfants, citoyens du pays concerné ou migrants. Le viol de guerre n’est pas une question de genre, et n’est pas l’apanage d’un pays en particulier. C’est une arme stratégique, qui est par conséquent utilisée dans tous les conflits contemporains. We Are Not Weapons of War privilégie cette approche globale du viol de guerre en travaillant sur tous les pays concernés, et au contact de toutes les victimes.

Martin Chave



Pour en savoir plus, quelques références :

Sur l’utilisation du viol dans le conflit libyen : – Cécile Allegra, « Libye, Anatomie d’un crime », Cinétévé et ARTE France, 2018 – « Ni morts, ni vivants, Genèse d’un crime de guerre en Libye », Inkyfada, 08/02/2018, Disponible sur https://inkyfada.com/

Sur le travail de Maurine Mercier, journaliste pour la RTS en Libye qui a beaucoup travaillé auprès des migrants : – « Maurine Mercier, journaliste femme en Libye », RTS, 24/09/2019, disponible ici.

Pour en savoir plus sur le travail de WWoW en Libye, et soutenir les réseaux libyens dans leur enquête, cliquez ici.

Photo © Cinétévé


WWOW_LOGO_small_Blanc (1).png

NOUS RETROUVER

SUIVEZ NOUS

  • Youtube
  • Instagram
  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn

© 2024 We are NOT Weapons Of War – Catégorie juridique : 9220 – Association déclarée – W8853003278 – SIRET : 80951234600028

bottom of page