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  • 22 mars 2019
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

Viols de guerre : regard croisé entre réalité du terrain et réponses à apporter


Les précédents articles de cette série ont souligné les problèmes majeurs auxquels sont exposées les victimes de viol : la peur de parler, le manque de prise en charge médicale et psychologique, la défaillance des institutions pour l’ouverture de poursuites judiciaires. Autant de faits qui empêchent la condamnation du viol de guerre et qui participent à son impunité. Pour pallier ces difficultés, des Organisations Non-Gouvernementales (ONG) et des responsables internationaux réfléchissent à des solutions innovantes. L’enjeu du viol de guerre réside dans les solutions qui peuvent être apportées pour une prise en charge globale des victimes et pour répondre à ce fléau.


La startup We Are NOT Weapons of War (WWoW) fait partie de ces organisations qui développent de nouveaux outils pour accompagner les victimes de viol pour une prise en charge holistique. En 2018, elle a créé le Back Up, un site web mobile permettant à la fois le signalement de victimes du viol de guerre, la coordination de professionnels de santé et de justice, et le rassemblement d’informations et de données fiables sur les agressions.


La nécessité d’une prise en charge d’urgence des victimes


Libérer la parole


Il est particulièrement difficile pour les victimes de parler des violences sexuelles qu’elles ont subies. D’après un rapport de l’ONG Human Rights Watch publié en octobre 2017 de nombreuses victimes de viol de guerre refusent d’en parler à leurs proches par peur des conséquences sur leur vie. Le document rapporte le cas d’une femme violée en République Centrafricaine expliquant qu’après avoir raconté à son mari qu’elle avait été violée, leur relation n’était plus la même : « Il ne me traitait pas bien, Il ne voulait pas me donner de l’argent pour manger ». Son mari a par la suite demandé le divorce. Cet exemple montre la double peine des victimes de viol de guerre : en plus du trauma, elles doivent faire face à la stigmatisation et à l’exclusion par leur proche ou leur communauté.


Qu’ils s’agissent de femmes ou d’hommes, l’acceptation de la situation par les proches ou par la communauté est complexe. La honte d’avoir été souillé est insupportable. Philippe Rousselot, Président fondateur d’Hestia Expertise et Docteur en histoire évoque « la loi du silence » qui empêche la victime d’expliquer son martyr et de désigner son violeur.


Libérer la parole passe par des actions concrètes pour sensibiliser les populations sur le viol de guerre, et leur donner les moyens d’agir. C’est l’un des objectifs de l’application Back Up: un site web permettant d’apporter aux victimes – dotées de l’application mobile accessible via n’importe quel outil (téléphone, tablette) – les aides et soins dont elles ont besoin grâce à l’intervention de relais locaux sur le terrain. Gratuite et sécurisée, elle leur permet de faire état, elle-même ou par l’intermédiaire d’un tiers témoin, d’une situation de viol en complétant un formulaire d’alerte. Ce système vise à concilier discrétion et dénonciation :

les survivant.e.s évitent tout risque de stigmatisation par leur communauté en se rendant auprès d’un service de soins. La logique est ainsi renversée, ce n’est plus aux survivant.e.s d’aller chercher les soins et services (médecins, juristes, avocats) dont ils ont besoin, mais à ces derniers de venir à eux.


L’accès à des soins médicaux et psychologiques


« Après trois jours de captivité, elle parvint à s’enfuir mais, en dépit de douleurs abdominales et pelviennes permanentes, elle n’avait pas cherché d’aide médicale parce qu’elle ne savait pas où aller ni comment la solliciter » ALICE, 21 ANS, ANCIENNE VICTIME D’ESCLAVAGE SEXUEL EN AVRIL 2016 À MBAÏKI

Céline Bardet, fondatrice de WWoW, dénonce régulièrement les difficultés rencontrées par les victimes pour avoir un accès à des services de soins adaptés mais aussi le manque de coordination entre les professionnels concernés. En effet, aider les victimes de viol de guerre nécessite un travail psychologique, médical et un accompagnement social (offre d’hébergements provisoires, accès aux services sociaux et juridiques). Une prise en charge médicale urgente est primordiale, notamment après l’agression où de graves séquelles physiques et sanitaires peuvent être évitées. Par exemple, l’administration d’un traitement soixante-douze heures après l’agression peut éviter une infection par le VIH/Sida. Une prise en charge psychologique est également importante pour prévenir des conséquences psychologiques du trauma et éviter le développement de dépression ou d’envies suicidaires. A cet égard, des organisations médicales comme Médecins Sans Frontières œuvrent sur place. En 1999, le premier programme de soins spécifiquement dédié aux victimes de viol a été mis en place à Brazzaville suite à la guerre en République du Congo. Ce programme de MSF a ensuite été développé dans d’autres pays comme la Colombie, le Nigéria ou encore le Kenya. Ce programme de prise en charge est destiné aux victimes de violences sexuelles en période de conflit, de post conflit et s’applique également dans des environnements fragiles qui ne sont pas touchés par la guerre mais où la situation est très vulnérable, tels que des bidonvilles ou des camps de réfugiés.


Pourtant, de nombreuses victimes de violences sexuelles refusent de se rendre dans les centres tenus par les ONG. Pour cause, les victimes ont souvent peur de se déplacer dans des régions où l’insécurité est partout. Elles redoutent aussi d’être stigmatisées par leurs proches ou leur communauté qui pourraient deviner ce qui leur est arrivé lorsqu’elles se déplacent vers un centre de soins. Parfois, certaines victimes sont simplement dans l’incapacité de se déplacer. C‘est là qu’intervient l’application Back Up qui permet de géocaliser les victimes qui se signalent et de les mettre directement en relation un professionnel de santé qui peut se déplacer jusqu’à elles. La plateforme fonctionne de manière collaborative et permet aux professionnels d’échanger sur la situation d’une victime, accroissant l’efficacité de leur intervention.


Rendre la justice, une étape salvatrice pour la reconstruction


Longtemps impuni, le viol n’est plus considéré comme une conséquence inévitable de la guerre. En effet, la justice a progressivement reconnu le viol comme une arme de guerre et condamné son utilisation. Pourtant, le recours au viol de guerre s’est intensifié depuis les 30 dernières années. Ainsi, le viol de guerre perdure dans les conflits en Libye, Centrafrique ou encore en République Démocratique du Congo.


L’importance de l’engagement des Etats

Certains des Etats concernés par l’utilisation du viol comme arme de guerre ont démontré leur volonté de punir ces crimes de guerre. En 2009, la République Démocratique du Congo a élaboré la « Stratégie nationale sur les violences basées sur le genre ». En mars 2013, le gouvernement s’est engagé à prendre des mesures concrètes pour éradiquer ces crimes, lors de la signature d’un communiqué conjoint avec les Nations Unies. Au Libéria, la présidente Ellen Johnson Sirleaf a joué un rôle crucial dans la mise en application de lois contre le viol. Ces engagements et ces textes de lois s’accompagnent parfois de la création d’un organe juridictionnel spécialisé comme en République Centrafricaine où une Cour Pénale Spéciale a vu le jour en 2018 afin de mener des enquêtes et d’engager des poursuites dans des cas de violations des droits humains. Au Libéria, le rapport d’une Commission Vérité et Réconciliation créée en 2006 pour examiner les conséquences du conflit entre 1979 et 2003, a émis la proposition de créer une juridiction hybride formée de juges libériens et étrangers pour juger les crimes commis.


Malgré les progrès en la matière, les criminels ne craignent pas d’être condamnés. Les raisons sont multiples, la « loi du silence » évoquée précédemment, qui enferme les victimes dans la honte et le secret. Comme l’expliquait Aymeric Elluin, chargé de la campagne Arme et Impunité d’Amnesty International : « Dans un pays en guerre, avec la présence de forces armées, les femmes ont du mal à signaler leur viol, par honte mais également parce que le processus de reconnaissance est long: vérification médicale, manque de structures policières, corruption… ». Nombreuses sont les victimes qui ne savent pas à qui s’adresser et en qui avoir confiance, dès lors que même les policiers se rendent parfois coupables de ces crimes. Ainsi, certaines victimes, afin d’éviter toute stigmatisation, ont recours à la médiation de chefs coutumiers pour obtenir une compensation.


Il est donc primordial de rétablir un lien de confiance entre les victimes et les représentants de l’ordre public sur le terrain. La formation des acteurs locaux est essentielle. Le Libéria s’est par exemple doté d’une unité féminine de police en 2009. D’autres initiatives voient le jour comme l’Unité Mixte d’Intervention Rapide et de Répression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants (UMIRR) qui est composée de policiers et de gendarmes spécialement formés pour appréhender les cas de violences sexuelles en République centrafricaine depuis 2017. Comme le précise le Capitaine Paul Amédée Moyenzo de l’UMIRR: « Ceux qui ont commis des abus doivent être arrêtés, parce que s’ils ne sont pas arrêtés et mis en détention dès à présent, aucune victime ne pourra saisir les tribunaux et cela rendra la justice inaccessible ».


Prouver les viols de guerre : un obstacle supplémentaire


Porter plainte est une première étape. Reste encore à prouver les faits allégués, ce qui s’avère tout aussi complexe. Céline Bardet le souligne, le viol est une « arme invisible »qui laisse très peu de traces. Les ONG qui travaillent sur la dénonciation des violations des droits de l’homme font face à de réels obstacles dans l’établissement de la véracité des viols allégués, notamment lorsqu’il s’agit de démontrer le caractère systématique ou systémique des viols de guerre. Il en résulte une situation « d’une parole contre l’autre », souvent à cause d’un manque de preuves. Il est difficile de condamner exclusivement des auteurs sur le fondement de viol de guerre et il parait plus aisé de le faire sur des motifs classiques. La Cour Pénale Internationale a pu illustrer ce phénomène en condamnant des seigneurs de guerre sur des crimes comme les massacres et non pas sur les viols commis, malgré leurs existences. En dépit d’un statut considéré comme un « modèle de justice en matière de violences sexuelles basées sur le genre »*, la CPI n’a pas su tirer profit d’une incrimination sans précédents et à ce jour, vingt ans après sa création, aucune condamnation pour viol n’a pu être menée à son terme par la CPI. Le cas deJean-Pierre Bemba est à ce titre révélateur : inculpé puis jugé en 2016 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité incluant des viols ; le congolais est finalement acquitté en juin 2018.


Le Back Up peut contribuer à combler ces failles. En effet, les alertes et témoignages sont stockés sur un espace sécurisé, et permettront de bâtir des dossiers recevables en justice. Par ailleurs, à terme, WWoW pourra disposer de suffisamment de données pour donner une idée de l’ampleur du viol de guerre dans le monde. Les chiffres donnés seront ainsi basés sur la réalité et les faits du terrain, et seront ainsi plus fiables que les estimations qui peuvent être faites à l’heure actuelle.


Une première version du Backup existe et est utilisable. Seuls les fonds manquent encore pour mener à bien ce projet. WWoW est soutenu par l’Agence France Développement (AFD) dans le développement du projet Back Up. Ce soutien va permettre à l’équipe de WWoW de mener deux missions, au Burundi et en RCA, pour disséminer l’outil auprès des relais locaux. Dans de nombreux autres contextes, les réseaux locaux sont très demandeurs de cet outil, en Libye, Syrie, Kurdistan irakien, Zimbabwe ou encore en Birmanie. WWoW a désormais besoin de fonds pour pouvoir mener des missions dans ces pays afin de donner accès à cet outil pour les populations.


L’impunité des viols de guerre n’est plus tolérable. Des solutions prometteuses existent et promeuvent une vision innovante des choses. Cela démontre la mobilisation croissante à l’égard de ces crimes. Le combat se poursuit, et l’équipe de WWoW le mène au quotidien.


Claire de TALHOUET



* Rapport FIDH : « Invisibles, ignoré.es: Vers l’établissement des responsabilités pour les VSBG à la CPI et ailleurs« , novembre 2018.





  • 19 mars 2019
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.


Le viol de guerre, une arme invisible, un crime parfait


« On viole depuis la nuit des temps dans les guerres. Mais ce qui est nouveau, c’est le caractère exponentiel des viols devenus armes systématiques dans les conflits d’aujourd’hui ».

Le 24 novembre 2014, lors d’une conférence TEDxParis, Céline BARDET expliquait pourquoi le viol de guerre ne devait pas être assimilé au crime « classique » de viol, aussi dévastateur soit-il. Le viol de guerre est une arme, une arme à moindre coût et silencieuse. C’est le crime parfait.


Le viol de guerre est « l’arme la plus destructrice qu’il soit parce qu’on y survit parfois, mais on est détruit à jamais ».

MANON LOIZEAU


Comme cela a déjà été traité dans cette série d’articles, le viol dans la guerre est passé d’un dommage collatéral du conflit à une véritable arme de guerre. Or, cette qualification ainsi que son incrimination ont pris du temps pour être reconnues comme telles. Ceci est du, en partie, au fait que c’est une arme qui a pour caractéristique essentielle d’être « invisible ». Le viol comme arme de guerre est un crime qui s’inscrit dans une stratégie. En effet, comme le souligne Raphaëlle Branche, maître de conférences à Paris 1, dans un entretien pour France culture, il est important pour appréhender cette question de comprendre que « le viol de guerre se situe hors du registre sexuel, mais dans celui de la domination ».


Quand on pense au mot « arme », dans le contexte des conflits internationaux, ce qui nous vient à l’esprit ce sont d’abord les bombes, les fusils et les tanks qui ravagent des villes et laissent derrière eux des morts ou des victimes gravement blessées. Autrement dit ces armes, disons classiques, laissent derrière elles quelque chose de saisissable, parfois de quantifiable. On a un lien de cause à effet, entre l’arme et la victime, qui apparaît de façon évidente. Or, quand il s’agit de viol de guerre, on est face à une arme qui semble être beaucoup plus « invisible », voire pour la plupart du temps « silencieuse » si la victime ne dénonce pas l’acte.


Un premier constat très sinistre peut être fait : le viol comme arme de guerre est une arme « qui ne coûte pas cher », comme l’a indiqué Thierry Michel, réalisateur du documentaire « Docteur Mukwege, la colère d’Hippocrate ». C’est une arme dont les conséquences s’étalent sur la durée et touchent toute la communauté de la victime.


Aucun conflit contemporain n’est épargné : en Syrie, en RDC, en RCA, en Libye, pour ne citer que ces pays, le viol est utilisé de manière systémique pour assujettir la population. On peut aussi d’ailleurs remarquer que les pratiques et les techniques utilisées dans les différents conflits sont parfois les mêmes. Violer une victime devant le reste de sa famille ou de sa communauté : violer une fille sous les yeux de son père, violer un homme devant sa femme. On cherche donc aussi à atteindre et à blesser la victime psychiquement. Tout le vice du viol de guerre est là : c’est une arme qui détruit en profondeur, mais qui laisse très peu de traces. Et c’est bien là l’obstacle principal en termes de poursuites légales : le manque de preuves. Cette arme est utilisée, on le sait. Elle est présente dans la quasi-totalité des conflits contemporains mais ne laisse que peu de traces. Or, pour la rendre punissable et pour combattre l’impunité quasi totale des auteurs de ces crimes, on a besoin de preuves.


La nature même de ce crime fait qu’il est difficilement traçable. Documenter ces pratiques n’est pas évident. Comme le souligne l’Inter Agency Standing Committee dans son rapport de 2005 « Directives en vue d’interventions contre la violence basée sur le sexe dans les situations de crise humanitaire », les violences sexuelles sont sous-documentées et il est difficile, sinon impossible, d’obtenir une mesure exacte de la magnitude du problème. En effet, si les violences en Bosnie et au Rwanda sont celles qui sont les mieux documentées, ce qui a donc permis d’aboutir à certains jugements sur la question, cela n’est pas le cas pour tous les conflits.


Cette absence de chiffre est donc liée à la nature même du crime, qui peut rester invisible après son occurrence. Les auteurs de viols profitent du chaos des conflits pour se dissimuler, mais aussi de la réticence des victimes à dénoncer ouvertement l’agression qu’ils ont subie.


Ce manque de documentation et d’éléments vient tout d’abord de la difficulté d’obtenir des témoignages de victimes. Celles et ceux qui ont subis ces sévices sont en effet nombreux(es) à se taire. Très souvent, le viol provoque un sentiment de honte chez la victime, parfois même de culpabilité. Comme le note l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe,« le poids de la honte et de la culpabilité bascule du côté de la victime qui est souillée, salie, et dans certains cas, ostracisée. Le viol n’est pas un crime qui tue, mais un crime qui laisse vivre et qui fait regretter d’être né. » Dès lors, les témoignages sont plus difficiles à recenser. C’est ce que l’on voit aussi dans le film Libye – Anatomie d’un crime,qui suit le travail de Céline Bardet et des réseaux libyens pour qualifier les atteintes subies par les victimes : ces dernières sont souvent plus ouvertes à livrer leur témoignage sur d’autres sévices dont elles ont souffert, la torture par exemple, mais demeurent très réticentes à parler du viol qui a été commis.


Les victimes vivent secrètement dans cette honte, explique Teufika Ibrahimefendic, psychologue dans le centre d’accueil de Vive Zene, en Bosnie interviewée par Jean-Francois Belanger. Elle souligne qu’à la différence d’autres sévices, le viol est souvent accompagné d’une plus grande difficulté à parler liée à la honte que peut ressentir la victime.


Le tabou sociétal qui peut entourer la sexualité et les violences sexuelles pousse aussi au silence des victimes. Le viol est très souvent un sujet dont il est socialement difficile de parler. Dans certains pays à majorité musulmane comme en Syrie ou en Libye, le rapport au corps, à la sexualité et à la pureté du corps est également essentiel ; et le viol, qui concerne dans ces conflits les femmes et les hommes, devient dès lors un sujet impossible à aborder. Cet aspect tabou peut donc pousser les victimes à préférer garder le silence de peur que la société les rejette, ce qui les pousse pas à ne pas rapporter ce qu’elles ont vécu.

Néanmoins, il serait trop simpliste de limiter le problème au silence des victimes. En effet, nombre d’entre elles font face au tabou et brisent le silence. Nombre d’entre elles parlent, mais elles ne sont parfois pas écoutées. Il y a donc un problème de capacités et de méthodes à recueillir ces témoignages.


En effet, recueillir la parole des survivant.e.s requiert des compétences particulières, liées au trauma que laisse ce type de violences. En racontant leur histoire, les victimes revivent très souvent les sévices qu’elles ont vécus, ce qui est psychologiquement très difficile à gérer. La personne qui recueille son témoignage doit donc être capable d’instaurer un climat de confiance, d’intimité, tout en ne se laissant pas déborder par l’émotion et en gardant à l’esprit qu’elle doit permettre à la victime de livrer des éléments susceptibles d’être utiles d’un point de vue légal. WWoW travaille particulièrement sur ces questions : en Libye, WWoW a formé de nombreuses personnes (médecins, activistes, avocats…) au recueil de témoignages pour leur donner des outils et des méthodes adaptés, afin d’obtenir des éléments juridiquement utilisables.


Ces formations avec les Libyens continuent. En 4 ans, les enquêteurs avec qui WWoW travaille ont ainsi pu faire parvenir des informations de plus en plus précises et de plus en plus utilisables d’un point de vue légal. Ils travaillent sur les très nombreux cas de femmes et d’hommes violés en Libye, durant le soulèvement contre le régime de Kadhafi, puis durant la guerre civile qui a suivi la chute du régime, et ce, jusqu’à aujourd’hui.


Ce type de formations gagnerait à être plus développé. En effet, si le viol de guerre reste une arme invisible c’est parce que même lorsque les victimes parlent, leur parole n’est pas ou est mal écoutée. En outre, dans de nombreux pays, les victimes sont approchées par une kyrielle d’ONG, chacune leur demandant de raconter leur histoire : cette répétition de témoignages est non seulement très douloureuse pour la victime ; mais est en plus néfaste quant à la crédibilité du récit de l’agression. Il arrive en effet que d’un témoignage à l’autre, une victime ne se souvienne plus de certains détails ou donne des versions différentes. La violence de l’agression laisse en effet très souvent les victimes dans un état de « sidération » qui perturbe par la suite leur mémoire quant à cette agression.


Au Bangladesh, de très nombreuses ONG se rendent auprès des victimes Rohingyas dans le camp de Cox’s Bazar. La sollicitation permanente des survivant.e.s de viol et la répétition des témoignages les amènent à livrer des récits erronés, et donc moins crédibles d’un point de vue juridique.

Par ailleurs, si le viol de guerre reste encore largement invisible, c’est aussi parce qu’outre les témoignages des victimes, il ne laisse que très peu de traces facilement identifiables. Pas de douilles de balles, pas de débris de roquettes, pas de substances chimiques… Certaines victimes présentent des stigmates physiques qui peuvent disparaître quelques jours après l’agression, d’autres victimes ne présentent aucune trace physique. Parce qu’il est intraçable, le viol est donc le crime parfait.


Dès lors, il est essentiel de permettre aux victimes, mais aussi aux témoins indirects de ce type d’agression, de fournir de façon rapide et simple les éléments en leur possession. C’est bien là l’un des grands objectifs du Back Up. Cet outil numérique s’ouvre facilement et rapidement sur un téléphone, une tablette ou un ordinateur. Il permet en premier lieu à une victime de s’identifier et d’accéder aux services dont elle a besoin (médicaux, psychologiques, légaux…). Mais il permet aussi à une victime, un proche, ou toute personne ayant assisté à des violences sexuelles, d’envoyer des éléments de façon sécurisée. Ainsi, une victime peut envoyer un enregistrement vocal racontant ce qui lui est arrivé pour ne pas omettre d’éléments. La sœur d’une victime peut envoyer des photos des stigmates physiques sur le corps de sa sœur. Un activiste peut envoyer une vidéo d’une exaction dont il aurait été témoin, montrant un lieu précis, une certaine unité, l’écusson d’une brigade particulière…. Tous ces éléments sont ensuite stockés de façon sécurisée. Grâce au système de la blockchain, ces éléments sont alors protégés et ne peuvent être altérés (système de non-répudiation). Si une procédure judiciaire s’ouvre pour le cas d’une victime, les éléments communiqués via le Back Up peuvent alors être réutilisés.


En temps de conflit, il est difficile de mener un travail d’enquête et difficile d’identifier les acteurs qui se livrent à des exactions. WWoW veut donc offrir un outil simple et rapide d’utilisation permettant de figer la situation et de collecter et authentifier des éléments cruciaux en cas de procédures judiciaires.


Le viol de guerre est une arme stratégique. Si elle est utilisée dans la quasi-totalité des conflits contemporains, c’est bien parce qu’elle est d’une efficacité redoutable et qu’elle est très difficilement traçable. Face à cela, on ne peut pas se cacher derrière la complexité de cette arme et l’utiliser comme un prétexte à l’inaction. Il faut développer de nouvelles compétences, former le personnel en contact avec les survivant.e.s, et créer des solutions innovantes pour proposer des réponses adaptées.

Nada NABIH En collaboration avec Martin CHAVE


  • 6 mars 2019
  • 12 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

Le droit international face aux violences sexuelles en temps de conflits : l’exemple de l’ex-Yougoslavie


Un bref rappel du contexte géopolitique s’impose ici. L’ex Yougoslavie, plus communément appelée « République socialiste fédérative de Yougoslavie » (RSFY) jusqu’au 20 juin 1991 était constituée de six républiques : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie (comprenant les régions du Kosovo et de la Voïvodine) et la Slovénie. La RSFY était une mosaïque de groupes ethniques et de religions regroupant musulmans, chrétiens orthodoxes et catholiques, une multi représentation religieuse et ethnique. Suite à la chute du communisme, de nombreux partis politiques y voient une occasion parfaite pour revendiquer l’indépendance des républiques.


Le 25 juin 1991, la Slovénie et la Croatie déclarent leur indépendance, mettant ainsi véritablement fin à l’existence de la RSFY. Ont ensuite suivis la Macédoine et la Bosnie-Herzégovine en avril 1992, ainsi que le Monténégro et la Serbie en juin 2006. Néanmoins, cette volonté d’accès à l’indépendance ne s’est pas faite sans difficultés.


L’importante minorité serbe de Croatie refuse de reconnaitre le nouvel Etat croate et s’allie alors avec la JNA (armée populaire yougoslave) afin de faire sécession, créant ainsi un Etat Serbe indépendant dans près d’un tiers du territoire croate qu’ils contrôlent. Après d’intenses combats, le gouvernement croate reprend le contrôle de son territoire.


Le cas de la Bosnie-Herzégovine est le plus complexe à gérer du fait de la très forte diversité ethnique de ce territoire. Si les Bosniaques musulmans en sont la communauté la plus importante (44 % de la population environ), environ 32 % de sa population est serbe orthodoxe. Des Croates, essentiellement catholiques, habitent aussi ce pays montagneux et enclavé (17 % de la population) et Franjo Tudjman, en difficulté suite à ses défaites de 1991, est tenté d’y lancer une offensive afin de susciter un élan nationaliste au sein de son opinion publique. Slobodan Milošević, de son côté, ne peut ignorer les aspirations des Serbes bosniens qui n’ont aucune envie de se trouver relégués au rang de minorité dans une république indépendante de Bosnie. Les deux anciens ennemis s’entendent donc pour déstabiliser leur voisin. Dès janvier 1992, Radovan Karadžić proclame l’indépendance d’une « République serbe de Bosnie-Herzégovine » et en, mars, suite à la proclamation de l’indépendance de la Bosnie, il entame un conflit armé. Disposant de meilleures forces que les Bosniaques et soutenu par Milošević, Karadžić parvient à occuper les deux tiers du pays, où il procède à des nettoyages ethniques. D’avril 1992 à novembre 1995, les nationalistes serbes du général Ratko Mladić assiègent également Sarajevo. Au même moment, de violents affrontements opposent les Croates, appuyés par Tudjman, aux Bosniaques. Au cours de ces deux conflits, tous les camps se livrent à des atrocités mais menacés sur deux fronts et affrontant deux anciennes républiques yougoslaves, les Bosniaques d’Alija Izetbegović sont rapidement en position de faiblesse.


Seule la communauté internationale paraît en mesure d’arrêter cette guerre sanglante. Dès 1994, les États-Unis parviennent à faire cesser le conflit croato-bosniaque. En revanche, les nationalistes serbes de Bosnie continuent le combat, certains de pouvoir l’emporter. Leur résolution est renforcée par l’inefficacité de la Force de Protection des Nations-Unies (la FORPRONU) à répondre efficacement à leurs offensives. En avril 1994, les Serbes prennent ainsi en otage des membres du personnel de l’ONU afin de s’en servir comme boucliers humains pour éviter des bombardements de l’OTAN et cette tactique est à nouveau utilisée l’année suivante en mai 1995 après des raids de l’Alliance atlantique sur la ville de Pale, quartier général de Karadžić. En juillet de la même année, les forces serbes de Bosnie occupent l’enclave de Srebrenica, officiellement sous la protection de la FORPRONU, sans rencontrer la moindre résistance de la part des casques bleus néerlandais. Le général Mladić se rend immédiatement dans la zone, et promet de prendre en charge les civils bosniaques qui y sont présents. Les jours suivants, pourtant, des milliers d’entre eux sont massacrés. Le bilan de ce massacre s’élèverait à 8000 morts environ. En représailles, l’OTAN reprend sa campagne de bombardement contre les nationalistes serbes, mais ceux-ci répondent en occupant une à une les positions occupées par les casques bleus qui ne peuvent leur opposer de résistance, une véritable humiliation pour l’ONU.


Le conflit en Bosnie-Herzégovine sera le plus meurtrier et le plus intense de la période qui a suivi l’éclatement de la Fédération yougoslave. En raison de sa situation stratégique, la république est convoitée par la Serbie et la Croatie. Le bilan reflète la gravité de la situation : Plus de 100 000 personnes tuées, 2 millions de personnes déplacées, et des milliers de victimes violées. Le siège de Sarajevo sera le plus long de l’histoire, 4 ans et demi pendant lesquels la ville est assiégée et de laquelle personne ne peut entrer ni sortir.


En 1994, le professeur Cherif Bassiouni, rapporteur ONU de la Commission d’enquête sur la Bosnie Herzégovine écrit dans son premier rapport « Sur la base des éléments d’information réunis, examinés et analysés, la Commission a conclu que de graves violations des Conventions de Genève et d’autres violations du droit international humanitaire avaient été commises à grande échelle sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et que l’exécution en avait été particulièrement cruelle et impitoyable. Le « nettoyage ethnique » et le viol ainsi que les violences sexuelles, en particulier, ont été pratiqués de façon tellement systématique par certaines des parties qu’il y a tout lieu d’y soupçonner le produit d’une politique; qu’il y ait eu politique peut également s’induire du fait que l’on a invariablement omis de prévenir la perpétration de ces crimes et de poursuivre et punir leurs auteurs. »


“Un tribunal international dans le seul but de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie.

A la suite du conflit, l’ampleur des atrocités commises en Croatie, puis en Bosnie-Herzégovine – massacres de milliers de civils, viols, tortures, déportations – ont amené la communauté internationale à réagir, notamment par la création via une décision du Conseil de Sécurité des Nations Unies ; d’un Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) le 25 mai 1993. Ce tribunal a pour mission de juger les auteurs de crimes de guerre commis pendant les conflits des années 90 sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. Il fut le premier tribunal pour crimes de guerre créé par les Nations Unies, voire le premier à connaître de tels crimes depuis les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo. Il a ouvert la voie au jugement des crimes sexuels.


Par la résolution 827, le Conseil de sécurité s’est déclaré « une nouvelle fois gravement alarmé par les informations qui continuent de faire état de violations flagrantes et généralisées du droit humanitaire international sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et spécialement dans la République de Bosnie-Herzégovine, particulièrement celles qui font état de tueries massives, de la détention et du viol massif, organisés et systématiques des femmes et de la poursuite de la pratique du “nettoyage ethnique”, notamment pour acquérir et conserver un territoire ». Selon l’ONU, plus de 20 000 femmes ont été violées pendant la guerre, essentiellement des musulmanes agressées par des soldats serbes. Mais les chiffres constatés sur le terrain par différentes organisations parlent plutôt de 50 000 victimes. Il est encore très difficile aujourd’hui de savoir combien de victimes ont été concernées sachant qu’aucune étude véritable n’a été conduite sur cette question et que nombre de survivant e s restent silencieu-x- ses.


L’article 5 du statut du TPIY dispose que l’institution est habilitée à juger les personnes présumées responsables de crimes lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit tels que l’assassinat, l’extermination, la torture et le viol. Les crimes énumérés par le statut sont des crimes contre l’humanité. La spécificité de ce crime est qu’il est imprescriptible. En d’autres termes, ses auteurs peuvent être poursuivis indéfiniment, jusqu’au dernier jour de leur vie. Le Statut du TPIY incrimine en particulier le viol comme crime contre l’humanité à son article 5-g. Il l’a également érigé au rang des crimes de guerre, en le considérant comme une infraction grave aux Conventions de Genève du 12 août 1949. De son côté, le Règlement de procédure et de preuve du TPIY contient une disposition, l’article 96, qui porte sur l’administration spécifique des preuves en matière de violences sexuelles et vise à préserver au maximum la préservation maximale de la dignité de la victime.


LE VIOL, ARME DE GUERRE

Le viol commis en temps de guerre a pour spécificité de terroriser la population, de briser les familles, de détruire les communautés voire de changer la composition ethnique d’une génération future participant à un processus de « purification ethnique ». Parfois, il sert aussi à transmettre délibérément aux femmes le VIH, incapables alors de porter des enfants. Dans une affaire jugée devant le TPIY « Mucić et consorts »,la Chambre de première instance avait considéré que les viols avaient pour but d’obtenir des informations et de punir les femmes lorsqu’elles ne pouvaient pas en donner. Plus généralement, les viols visaient à les intimider, les humilier et à les soumettre. Néanmoins, il est important ici de rappeler que certes les femmes sont majoritairement les plus visées par cet acte, mais ce phénomène touche également les hommes. Le viol est ainsi devenu une stratégie d’attaque, une véritable arme de guerre, parfois même beaucoup plus meurtrière que n’importe quelle autre arme.


Les guerres yougoslaves sont encore sources de traumatismes, les victimes de ces atrocités sont nombreuses, et souffrent toujours en silence. Selon certains actes d’accusation, « la santé physique et psychologique de détenues s’est sérieusement détériorée en raison de ces violences sexuelles. Certaines des femmes souffraient d’épuisement, de pertes vaginales, de dysfonctionnement de la vessie et de flux menstruels irréguliers. (…) Certaines des femmes qui ont fait l’objet de sévices sexuels avaient envie de se suicider. D’autres sont devenues indifférentes à ce qui allait leur arriver et ont basculé dans la dépression ».


Ainsi, même après la fin d’un conflit, les impacts de la violence sexuelle persistent, notamment les grossesses non désirées, les infections sexuellement transmissibles et la stigmatisation. Et, pour répondre aux besoins des survivantes – soins médicaux, traitement du VIH, appui psychologique, aide économique et recours juridique –, il faut des ressources que la plupart des pays sortant d’un conflit ne possèdent pas.


Dans son rapport, le professeur Cherif Bassiouni précise 5 catégories dans lesquelles le viol est utilisé comme celle-ci «Une autre catégorie encore est celle des sévices sexuels que des individus, agissant seuls ou en groupe, font subir aux femmes pour les terroriser et les humilier et qui sont souvent un moyen de « nettoyage ethnique ». Des femmes qui ont été détenues dans certains camps pensent qu’elles avaient été faites prisonnières expressément pour être violées. Toutes les femmes de ces camps l’étaient très fréquemment, souvent devant d’autres prisonnières, et généralement rouées de coups et torturées en même temps. Des violeurs ont dit que leur but était de les féconder; les femmes enceintes restent prisonnières jusqu’à ce que la grossesse soit trop avancée pour un avortement. Une femme a été retenue prisonnière par son voisin (un soldat) pendant six mois près de son village. Elle était violée presque tous les jours par trois ou quatre soldats, qui lui disaient qu’elle donnerait naissance à un petit chetnik qui tuerait les musulmans quand il serait grand et qui répétaient que c’était leur président qui leur avait ordonné de se comporter ainsi. Une femme a vu ses voisins serbes venir occuper sa maison, qui leur a servi pendant plusieurs mois de centre de détention pour interrogatoires. Elle a été violée presque quotidiennement et battue pendant des mois et elle a été témoin de plusieurs assassinats et actes de torture; deux autres femmes ont été violées là aussi. »


LE TOURNANT JURIDIQUE

Le TPIY a profondément transformé le paysage du droit international pénal et humanitaire. Il a finalement permis aux victimes de témoigner et de défendre leur cause afin que les auteurs de ces atrocités soient jugés. Le rôle que le Tribunal a joué en poursuivant des auteurs de crimes sexuels infligés pendant les conflits en ex-Yougoslavie est inédit. Il a ouvert la voie pour que, dans le monde entier, ces crimes soient jugés avec plus de fermeté. Dès les premiers jours du mandat du Tribunal, des enquêtes ont été menées au sujet d’allégations concernant la détention systématique et le viol de femmes, d’hommes et d’enfants. Plus d’un tiers des personnes condamnées par le TPIY ont été déclarées coupables pour des crimes impliquant des violences sexuelles. Il s’agit là d’un accomplissement précurseur, grâce auquel les différents traités et conventions établis au fil du XXème siècle en matière de violences sexuelles ont finalement pu être appliqués, et leur violation sanctionnée.


Le TPIY a pris des mesures innovantes pour répondre à l’impératif que représentent les poursuites pour des sévices sexuels infligés en temps de guerre. De même que son institution-sœur, le Tribunal pour le Rwanda (TPIR), le TPIY est l’une des premières instances judiciaires à mettre des accusés explicitement en cause pour violences sexuelles commises en temps de guerre, et à définir, en droit coutumier, des crimes commis contre des femmes tels que le viol et l’esclavage sexuel.


Le TPIY est également le premier tribunal pénal international à avoir prononcé des déclarations de culpabilité pour viol en tant que torture et pour esclavage sexuel en tant que crime contre l’humanité. Il est aussi le premier tribunal international basé en Europe à avoir prononcé une déclaration de culpabilité pour viol en tant que crime contre l’humanité, après celle prononcée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Le TPIY a apporté la preuve qu’il était possible de poursuivre avec efficacité des violences sexuelles perpétrées en temps de guerre. Il a permis aux survivant e s de s’exprimer au sujet de leurs souffrances et a finalement contribué à rompre le silence et la tradition d’impunité qui entouraient ces actes.


Plus d’un tiers des personnes condamnées par le TPIY ont été déclarées coupables pour des crimes impliquant des violences sexuelles.


Nous citerons ici notamment deux affaires importantes. La première concerne « Kunarac et consorts » (2002). Les trois accusés, des officiers de l’Armée des Serbes de Bosnie, Dragoljub Kunarac, Zoran Vuković et Radomir Kovač, ont contribué à la mise en place de camps où les femmes étaient violées, dans la ville de Foča, en Bosnie orientale.Des femmes étaient séquestrées dans des appartements et hôtels gérés comme des maisons closes, et étaient utilisées pour effectuer des tâches ménagères. Elles ne pouvaient pas quitter les lieux et étaient achetées et vendues comme des marchandises. Pour les juges du TPIY, il n’y avait aucun doute, leurs conditions de vie étaient celles d’esclavages mais cette fois-ci un esclavage de nature sexuelle. Par cette décision, les juges ont contribué à une avancée majeure du droit international, en ce sens que, le droit international avait, jusqu’alors, associé la réduction en esclavage au travail forcé et à la servitude. En conséquence de quoi, la définition de ce crime a été élargie à la servitude sexuelle, permettant ainsi une plus grande incrimination des actes sexuels. Les trois accusés ont également été reconnus coupables de viol en tant que crime contre l’humanité. Le TPIY fut ainsi le premier tribunal international à condamner une personne pour viol en tant que crime contre l’humanité.


La seconde affaire concerne « Furundžija » (1998), premier procès mené par le TPIY portant exclusivement sur des sévices sexuels. En l’espèce, Anto Furundžija, commandant d’une unité spéciale du Conseil de défense croate (HVO) en Bosnie-Herzégovine, a autorisé ses subordonnés a violé de manière répétée une femme musulmane de Bosnie lors d’interrogatoires. Il a néanmoins été reconnu coupable en tant que coauteur pour avoir aidé et encouragé le crime et a été condamné à dix ans d’emprisonnement.


Dans cette affaire, les juges ont reconnu que le viol pouvait être utilisé comme un instrument pour commettre un génocide si les éléments constitutifs sont réunis, et faire l’objet de poursuites en tant que tel.

Le TPIY s’est dissout le 31 décembre 2017 après avoir rendu ses deux derniers jugements, dans les affaires KARADZIC, le 24 mars 2016 et MLADIC le 22 novembre 2017. Les missions résiduelles du TPIY telles que le contrôle de l’application des peines et l’examen des procédures d’appel depuis le 1ejuillet 2013 sont aujourd’hui confiées au Mécanisme pour les tribunaux internationaux. Cette institution est appelée, de manière autonome depuis la fermeture du TPIR et du TPIY, à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux internationaux.


Au cours de ses vingt-quatre années de mandat, le TPIY a irréversiblement transformé le droit international humanitaire et ses décisions ont redonné une lueur d’espoir pour les victimes de violences sexuelles et sont donc à saluer.


Le conflit dans les Balkans a été d’une violence abjecte et les accusations et condamnations pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité furent nombreuses. C’est aussi en s’intéressant aux Balkans que Céline Bardet, fondatrice et directrice de WWoW a débuté sa carrière. A 27 ans, elle rentre en effet au TPIY et devient l’assistante du juge Claude Jorda. Pendant plusieurs années, elle affûte son expertise juridique en travaillant sur de nombreuses affaires pour reconstituer chaque crime : comme pour créer un grand puzzle, elle croise les éléments de preuves, décortique les témoignages, remonte les chaînes de commandement… Un travail de longue haleine au cœur de la justice internationale, qui lui permet aujourd’hui d’avoir une véritable expertise sur la question des crimes internationaux. Elle se penche sur les cas de criminels de guerre comme Goran Jelisic condamné à 40 ans d’emprisonnement pour son rôle dans la détention et l’exécution systématique de prisonniers dans le camp de Luka en Bosnie. Elle travaille également sur l’affaire du général croate Tihomir Blaskic et sur son rôle dans le massacre d’Ahmici en 1993, qui a coûté la vie à plus de 100 civils bosniaques.


En Bosnie, la fondatrice de WWoW est aussi profondément marquée par l’utilisation massive du viol comme arme de guerre. De 2004 à 2011, elle s’installe dans les Balkans pour travailler sur le terrain, au contact des populations locales. En outre, elle forme et dirige une unité spécialisée sur les crimes de guerre à Brcko en Bosnie. Elle s’aperçoit que de nombreuses victimes de viol n’ont jamais été entendues et n’ont jamais pu obtenir justice. C’est dans les Balkans que son combat contre le viol de guerre débute. Un combat pour la justice et pour la dignité des victimes : Céline Bardet mène et remporte le premier procès pour viol en Bosnie.


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