top of page

BLOG

Dernière mise à jour : 24 févr.


Bien que le Chili ne soit pas en guerre (contrairement à ce qu’affirme le Président Piñera), de graves violations des Droits de l’Homme y sont commises depuis le début de la révolte sociale, en octobre dernier. Chaque jour, le corps de chacun et chacune est un peu plus considéré comme un champ de bataille par les Forces Armées – policiers et militaires.

Avant tout, revenons sur la crise sociale que traverse l’un des pays les plus stables d’Amérique latine. Le Chili s’est réveillé 30 ans après la fin d’une longue dictature (1973-1989), à la suite d’une augmentation de 30 centimes du prix du trajet de métro. Mais, derrière ces 30 centimes se cachent un système social en décadence (accès à la santé toujours plus compliqué, pensions de retraite toujours plus misérables, éducation toujours plus chère), des loyers en perpétuelle augmentation, un revenu minimum à 300000 pesos chiliens soit 400 euros, un usage incontrôlé des ressources naturelles (privatisation de l’eau, exploitation des forêts primaires) mais également des populations indigènes sans cesse réprimées depuis la Colonisation espagnole. Derrière ces 30 centimes, se nichent plus de 30 ans de politiques néo-libérales qui ont forgé les inégalités sociales que connaît aujourd’hui le Chili. En effet, comment s’étonner de ce mouvement populaire quand on sait que 140 Chiliens concentrent près de 20% des richesses du pays ?

©Myriam-Gaëlle Masso

Le 4 novembre dernier, l’INDH recensait déjà 19 plaintes pour violences sexuelles (menaces, attouchements, viols) ; quatre jours plus tard, l’organisme en avait reçues 52. Ces chiffres, élevés, en à peine trois semaines.”

La dictature chilienne, c’est aussi beaucoup – trop – d’abus : disparitions, tortures physiques et sexuelles, viols, avortements forcés, assassinats… Qui restent impunis, malgré un traumatisme profond au sein de la société. Pour la majorité des Chiliens, la réaction du gouvernement Piñera a fait écho aux heures sombres du pays : couvre-feux, militarisation de la vie quotidienne, répression.


Les Forces Armées ont également repris leurs vieilles habitudes et les premières dénonciations de violations des Droits de l’Homme se sont vite accumulées auprès de divers organismes, dont l’INDH (Institut National des Droits de l’Homme), à tel point que Michelle Bachelet, ex-Présidente du Chili (2006-2010, 2014-2018) et actuelle Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, a mandaté des observateurs de l’ONU pour faire la lumière sur ces faits.


Le 4 novembre dernier, l’INDH recensait déjà 19 plaintes pour violences sexuelles (menaces, attouchements, viols) ; quatre jours plus tard, l’organisme en avait reçues 52. Ces chiffres, élevés, en à peine trois semaines, témoigne d’une volonté politique, d’une stratégie bien établie et non de cas isolés. Ces crimes soulignent également la culture patriarcale chilienne (même si certaines victimes de violence politico-sexuelle sont des hommes) dans la mesure où les femmes sont généralement considérées comme des citoyennes de seconde zone, dont le corps doit servir à assouvir le plaisir des hommes.


Dans un monde où les réseaux sociaux sont légions, plusieurs cas de violence politico-sexuelle sont devenus viraux. Le 5 novembre, au sein du Commissariat de Macul, commune au Sud de Santiago,parmi les 5 adolescents détenus – dont un jusqu’à 23 heures – alors qu’ils manifestaient pacifiquement aux abords de leur lycée, les 3 jeunes filles affirment qu’elles ont été forcées à se dénuder et à montrer leur entrejambe.La visibilité accrue des violences politico-sexuelles ne saurait faire oublier les nombreuses victimes qui restent silencieuses et/ou qui sont effacées par les mœurs conservatrices de la société chilienne, notamment les personnes LGBTQ+ dont la sexualité reste taboue. Par exemple, la nuit du 21 octobre, commença la détention de Josue Maureira, étudiant homosexuel âgé de 21 ans. Jusqu’à sa libération le 25 octobre, il fut, entre autres, roué de coups, obligé à crier « PD » de plus en plus fort, et sexuellement agressé avec une matraque par les Forces de l’Ordre. Les blessures constatées au Commissariat, sans examen approfondi, furent considérées comme légères.


Alors qu’une grande partie de la société civile se mobilise et demande justice, la réaction du gouvernement remanié de Sebastian Piñera semble encore incorrecte. On ne citera qu’un exemple parmi tant d’autres : au moment où l’INDH annonçait avoir reçu plusieurs plaintes de violences politico-sexuelles, Isabel Plá, Ministre de la Femme et de la Parité, affirmait dans un des principaux journaux du pays qu’aucune plainte n’avait été déposée.


Face à l’inertie des pouvoirs publics, de nombreuses franges de la société se sont emparées du thème et tentent de combler l’inaction de l’État. A l’instar de l’Association des Avocates Féministes du Chili (ABOFEM) ou de certains (élèves) avocats de l’Université du Chili qui offrent une permanence juridique et qui recueillent des dépositions (753 cas de violations des Droits de l’Homme au 30 octobre) le collectif féministe « Memorias de Rebeldías Feministas » (Mémoires de Rébellion Féministes) a mis en place une campagne de sensibilisation, incluant une adresse e-mail à travers laquelle il est possible de dénoncer les abus sexuels commis pendant cette période de répression .


Meutri par la dictature, puis endormi par des réformes socio-économiques décousues, le peuple chilien est prêt à rester debout. Debout, jusqu’à ce que les changements sociétaux réclamés ne s’apparentent plus uniquement à un rêve. #ChileDesperto

Myriam-Gaëlle Masso




Sources




  • 15 févr. 2019
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

L’histoire des violences sexuelles liées aux conflits : du dommage collatéral à l’arme de guerre


Les violences sexuelles ont toujours fait partie intégrante de la guerre. Tous les conflits de l’Histoire ont vu des abus sexuels commis à plus ou moins grande échelle. Néanmoins, cette violence a évolué au cours du temps. Elle est passée d’une pratique profitant du chaos de la guerre, à une stratégie, un instrument au service de la guerre.

Les victimes de violences sexuelles dans les conflits ont longtemps été considérées comme des « dommages collatéraux » de la guerre. Cette vision des choses est très ancienne et renvoie à l’idée qu’il y aurait une fatalité de la violence sexuelle dans la guerre, que celle-ci en ferait fatalement partie.

Déjà dans la mythologie romaine, le rapt des Sabines évoquait l’enlèvement de jeunes filles par des hommes venus de Rome qui souhaitaient les épouser.


Durant l’Antiquité, le Moyen-âge et l’Epoque Moderne, cette notion prévaut. Les femmes des vaincus sont considérées comme une partie légitime du butin de guerre conquis, au même titre que les biens matériels. Le viol est vu comme une part intégrante du pillage, un droit de disposer des femmes que s’arrogent les vainqueurs au fil de leur avancée. Durant les guerres de conquêtes – celles qui emmènent le combattant loin de chez lui et pour longtemps – le viol est même considéré comme une récompense personnelle, utile au moral des troupes. Les femmes et les jeunes filles sont alors les premières victimes de ce viol du vainqueur sur le vaincu.

Le premier texte à protéger les femmes de ces violences fut le Code Lieber de 1863, du nom de son rédacteur, qui fondait cette protection sur le « caractère sacré des relations de famille ».Signé par le Président Lincoln, ce Code avait pour but d’encadrer l’attitude à adopter avec les prisonniers de guerre par exemple, lors de la Guerre de Sécession.

Mais sans cadre légal international, les violences sexuelles restent prégnantes au sein des conflits du XXe siècle. Le terrible massacre de Nankin en Chine (1937-1938) en est l’un des exemples les plus tristes : les soldats japonais ont violé et mutilé de très nombreuses femmes chinoises avant de les tuer.

La Seconde Guerre Mondiale voit elle aussi des soldats profiter du chaos généré par la guerre pour se livrer à des abus sexuels. C’est le cas en Italie avec les crimes de Ciociarie d’avril à juin 1944 : dans les régions du Lathium, de la Toscane et de la Ciociarie, les corps expéditionnaires français, composés de soldats algériens, marocains, tunisiens et sénégalais violent et massacrent les populations locales. Toujours durant le second conflit mondial, le Japon met en place ce qui sera appelé les « femmes de réconfort ». Ce système de prostitution visait à permettre aux soldats nippons d’assouvir leurs besoins sexuels et exploitait massivement des femmes japonaises, chinoises ou encore coréennes.

Le viol durant la Seconde Guerre Mondiale est donc plutôt un « viol d’opportunisme ». Les abus sexuels profitent de l’absence totale de règles générée par les combats, du chaos de la guerre. Mais c’est aussi un viol de vengeance et d’humiliation de l’ennemi : ce fut le cas en Allemagne lors de l’entrée des troupes américaines, britanniques et françaises dans le pays, où de nombreuses femmes allemandes furent violées par vengeance. Les viols commis par les soldats russes en Allemagne sont aussi inscrits dans l’Histoire, notamment dans la capitale, où on estime que 100 000 Berlinoises auraient été violées. Enfin, la Seconde Guerre Mondiale montre aussi un premier triste exemple du viol utilisé comme outil ethnique : l’Allemagne nazie avait en effet instauré les Lebensborn, ces « maisons à bébés » qui avaient pour but de faire naître les futurs individus de la race aryenne. Des soldats allemands choisis selon des critères physiques venaient avoir des relations avec des jeunes femmes, elles aussi choisies en fonction de leur physique. Si certaines d’entre elles étaient des militantes nazies convaincues de l’importance de faire prospérer la race aryenne, d’autres furent violées et contraintes de donner naissance à des enfants dans ces centres où le viol est donc devenu un outil ethnique.

A la suite de la guerre, la Convention de Genève de 1949 condamne explicitement les atteintes physiques ou morales sur les civils, notamment le viol et la prostitution.

Cependant, les sévices sexuels demeurent monnaie courante dans les conflits qui suivent. La violence sexuelle est présente dans différents conflits issus de la décolonisation. En Algérie, elle est utilisée par l’armée française comme outil de torture sur les femmes, pour que celles-ci révèlent les lieux où se cachent les hommes appartenant à la résistance algérienne. En Algérie et ailleurs, les combattants profitent aussi du chaos de la guerre pour abuser de jeunes femmes dans une logique de « viol d’opportunisme » une nouvelle fois. On retrouve ces pratiques dans d’autres conflits, dans la guerre du Vietnam par exemple, où de nombreux viols ont également été répertoriés.

Un tournant se produit dans les années 1990. Deux conflits majeurs de cette décennie, dans les Balkans et au Rwanda, marquent un changement radical dans la conception de ce qu’est le viol dans les conflits. En effet, le viol de guerre a maintenant un but particulier, c’est une partie intégrante dans la méthode employée pour vaincre son ennemi, et par ailleurs asseoir sa domination. La guerre se fait par le viol. Ces violences sexuelles ont la particularité de traumatiser la population vaincue à la fois physiquement par les mutilations, mais aussi psychologiquement par le climat de terreur et d’humiliation qui s’étend au-delà de la victime directe.


Une systématisation du viol s’opère dans les conflits en Bosnie et au Rwanda, et marque bien la transition de la place du viol et des violences sexuelles au sein de la guerre, ainsi que leur perception par les dirigeants militaires. Auparavant les viols qui avaient lieu étaient tolérés, sinon autorisés, tandis qu’à présent, ils se font sur ordre et sous la supervision des supérieurs hiérarchiques. Au Rwanda, des « bataillons de violeurs »porteurs du VIH ont été formés pour violer. Cette technique a été qualifiée de « meurtre »par Silvana Arbia, procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda. En Bosnie, des camps de viols ont été institués à Foča et Višegrad (près de la frontière serbe), où les soldats serbes disposaient librement des femmes musulmanes capturées.

Dans ces deux conflits, la violence sexuelle est donc devenue stratégique. Elle a été pensée, planifiée et ordonnée en haut lieu. Elle est utilisée comme n’importe quelle autre arme au cœur de la guerre. Dans les deux cas cités ici, le viol est un instrument de nettoyage ethnique au service de la guerre.

Ces nouvelles violences – nouvelles car elles ne s’apparentent pas aux violences sexuelles perpétrées par le passé en temps de guerre – reflètent alors une volonté de destruction du groupe ennemi dans ce qu’il a d’intrinsèque : il faut empêcher la reproduction et détruire le lien social, à l’échelle familiale ou communautaire. Janine Altounian, dans La survivance*, analyse ces violences : « Si les exterminations n’oublient jamais dans leur programme, à côté de l’exécution des hommes, le viol des femmes voire l’éventrement des femmes enceintes ou la mutilation des parties génitales des deux sexes, c’est qu’au-delà de la destruction visible des vies, elles ambitionnent surtout celle, invisible et secrète du lieu de fécondation, de l’espace intérieur où germe la vie ». Il existe bien l’idée de détruire l’ennemi, en allant aussi loin que possible dans sa chair, par l’anéantissement de la fécondité. Les gestations et castrations forcées en Bosnie sont l’exemple de la volonté d’éliminer une population ciblée, ici en faisant disparaître le « gène bosniaque ».

Par ailleurs, le viol est commis de manière publique dans les deux conflits précités. Les soldats arrivant dans un village réunissaient les familles pour commettre les violences en présence de tous. Le but de ces actes est donc d’humilier la femme, mais aussi toute la communauté ou la famille obligée d’assister aux exactions, et parfois d’y participer. La torture perpétrée à l’encontre de la victime constitue également une torture psychologique à l’encontre de la communauté. Le but est alors de déconstruire le lien social – qui fait de la communauté ce qu’elle est – pour en entraîner l’anéantissement.

Cet anéantissement s’apparente à un lent délitement : Céline Bardet, fondatrice de We Are Not Weapons of War (WWoW), parle de « bombe à déflagration »dont l’étendue des dégâts est difficile à saisir. Plus de vingt ans après les conflits, les victimes ont à vivre avec les conséquences physiques et psychologiques de ces violences. Ce trauma s’accompagne souvent de l’exclusion de la personne ayant subi les violences. Dans le documentaire « Rwanda, la vie après. Paroles de mères. »*, six rescapées racontent leur histoire, en particulier celle qui commence après la fin du génocide. Ces femmes, « infectées de l’intérieur »par les maladies et les enfantements, furent rejetées par les survivants de leur famille et de leur communauté. Elles se retrouvent alors isolées, dans une situation particulièrement précaire et obligées d’élever seules les enfants issus de leurs viols. Se pose alors la question de l’éducation de l’enfant et de sa place au sein de la communauté victime par la difficile, voire impossible, dissociation entre l’enfant lui-même et l’agresseur. Les enfants issus des viols sont d’ailleurs très largement rejetés, souvent traités d’ « interahamwe », nom de la plus grande milice hutu durant la guerre.

Les réactions de la communauté et des familles exposent parfaitement le délitement du tissu social. Quand bien même il y aurait des survivants, la communauté est dans l’incapacité de se reconstruire. D’une part, le viol de guerre empêche la communauté de se regrouper après le conflit pour se reconstruire, par l’isolement de certains de ses membres. Cet isolement est le fait direct de la communauté, qui n’accepte plus certains de ses membres « souillés », ou de la volonté de la victime qui se sent trop humiliée pour faire encore partie du groupe. L’omerta, maître mot de ces situations, empêche le groupe de surmonter l’humiliation. D’autre part, les violences sexuelles atteignent la dignité des hommes et des femmes qui se trouvent incapables, d’un point de vue physique et psychologique, d’avoir une sexualité par la suite. Ces séquelles empêchent nécessairement les familles de se reconstruire. La destruction du lien social participe par ce biais à l’anéantissement de la fécondité.

Les conflits contemporains suivent cette même logique initiée dans les années 1990. Le « viol d’opportunisme » profitant du chaos de la guerre existe bel et bien toujours à l’heure actuelle. Mais de façon parallèle, le viol comme arme de la guerre est aujourd’hui très prégnant. Il peut être un outil de terreur et de répression politique comme c’est le cas en Libye ou en Syrie – et il touche alors de très nombreux hommes. Il peut aussi être un moyen d’asseoir son emprise sur des populations et des territoires, dans le but d’en contrôler les ressources, comme on le constate en RCA ou au Congo. Enfin, il est aujourd’hui une arme ethnique, utilisée par exemple contre les Rohingyas en Birmanie, de la même manière qu’il fut utilisé en Bosnie ou au Rwanda.

C’est donc bien une « bombe à déflagration »,qui impose toujours le même constat : le viol de guerre est une arme de destruction silencieuse, dont les dégâts ne connaissent pas de limites.

Claire-Elise PERON

Raphaëlle Branche & Fabrice Virgili (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011, 270 p. *Janine Altounian, La Survivance. Traduire le trauma collectif, Paris, Dunod, 2000 *Documentaire « Rwanda, la vie après. Paroles de mères. » réalisé par Benoît Dervaux et André Versaille


Dernière mise à jour : 24 févr.

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies, lors de sa séance du 5 novembre, a renouvelé et élargi les sanctions contre les crimes commis en Libye, en y intégrant désormais les violences sexuelles. La Résolution 2441 a été adoptée avec 13 « oui », et 2 abstentions, de la Chine et la Russie.

C’est un pas en avant important dans la reconnaissance et la criminalisation des violences sexuelles au sein du conflit libyen. Depuis 2011, les Nations Unies suivent la situation en Libye. La Résolution 1970 (2011) exhortait déjà le régime libyen à respecter le Droit International Humanitaire et à cesser toute exaction ; et rendait la Cour Pénale Internationale (CPI) compétente pour enquêter et juger les crimes de guerre dans le pays. Peu de temps après, le Conseil de Sécurité adoptait la Résolution 1973 (2011) qui créait un Groupe d’Experts sur la Libye. Ce dernier fut chargé de regrouper, d’examiner et d’analyser tous les éléments possibles sur de potentielles exactions commises sur le sol libyen. La Résolution adoptée par le Conseil de Sécurité le chargeait de regrouper des éléments sur les exactions contre les civils, la production et le trafic d’armes, ou encore sur les déplacements de personnes interdites de voyager. Ce groupe a jusqu’à aujourd’hui particulièrement suivi les faits et gestes de personnes désignées par les Nations Unies, souvent des dignitaires et commandants du régime de Kadhafi, et pour lesquelles des gels d’avoirs ou des mandats d’arrêt avaient été émis.


Le mandat de ce Groupe d’Experts a été prolongé et élargi à plusieurs reprises. La dernière fois, il s’agissait de lui donner des compétences d’enquête sur l’exportation illicite de pétrole libyen. En ce mois de novembre, le Conseil de Sécurité rappelle le mandat donné au Groupe d’Experts, mais l’élargit cette fois-ci en y incluant les violences sexuelles. Ainsi, au même titre que le trafic d’armes ou l’exportation illicite de produits pétroliers, les violences sexuelles doivent être l’objet d’enquêtes approfondies du Groupe d’Experts qui doit se doter des « compétences nécessaires dans le domaine de la violence sexuelle et sexiste », et peuvent être l’objet de sanctions par l’ONU. Ce type d’exaction devrait donc désormais être suivi. La Résolution 2441 souligne que le Groupe d’Experts doit remettre au Conseil de Sécurité un premier rapport d’activité au plus tard le 15 juin 2019, puis un rapport final où figureront ses conclusions et recommandations, le 15 décembre 2019.


Alors pourquoi est-ce important ?


Par cette résolution, le Conseil de Sécurité reconnaît que les violences sexuelles dans le conflit libyen ne peuvent pas être laissées de côté. Il reconnaît qu’elles sont une menace pour la paix au même titre que le trafic d’armes, la détention arbitraire, la torture, ou d’autres exactions. En Libye, le viol de guerre crée un cycle de violence sans fin. Le viol a été utilisé par le régime de Kadhafi comme outil de répression politique durant le soulèvement de 2011. Mais aujourd’hui encore, c’est une arme de vengeance entre tribus et un instrument de domination des villes et des territoires pour les milices libyennes (katiba). C’est un outil stratégique au cœur de la guerre, qui fait des dégâts comme n’importe quelle autre arme. En Libye, il touche aussi bien les femmes que les hommes. Il vise en effet à détruire ceux qui participent à la vie politique libyenne, il les efface donc de la sphère publique. Il devient dès lors une menace pour la société entière. C’est ce que souligne cette nouvelle résolution des Nations Unies. Toute paix et toute reconstruction sont inenvisageables en Libye si l’on ne condamne pas ces crimes qui s’attaquent aux acteurs de la vie politique et publique elle-même.


Cette Résolution apparaît dans un mouvement plus global de reconnaissance des violences sexuelles en conflit. En octobre, le Prix Nobel de la Paix était attribué au Docteur Denis Mukwege et à l’activiste yézidie Nadia Murad pour leur engagement contre le viol de guerre. Il s’agissait alors d’un message fort mais qui restait assez symbolique. Désormais, c’est une décision prise par l’ONU qui reconnaît ces violences et qui montre que les auteurs de ces crimes ne doivent pas restés impunis.

Cette nouvelle résolution n’est pas la panacée, et il faut en être conscient bien sûr. On peut légitimement se poser la question de l’efficacité de ces mesures de sanctions. L’Institut Georgetown pour les Femmes, la Paix et la Sécurité rappelait dans un rapport publié en mars 2018, que la proclamation de sanctions pour empêcher les violences sexuelles en conflit manquait d’efficacité. Ce rapport indiquait notamment que les Groupes d’Experts ne collaborent souvent pas assez avec les ONG et autres organismes experts de ces questions, et il encourageait le Conseil de Sécurité à lister de façon claire les noms des auteurs de ces crimes lorsque suffisamment d’éléments corroborent leur implication.

Néanmoins, il s’agit là d’un premier pas crucial, qui reconnaît que le viol et les violences sexuelles en Libye doivent être considérés au même titre que d’autres types de violence.


We Are Not Weapons of War participe au quotidien à cette reconnaissance nécessaire des violences sexuelles en conflit, et particulièrement dans le cas libyen. Cette Résolution a été adoptée moins de deux semaines après la diffusion du film Libye, anatomie d’un crime, réalisé par Cécile Allegra, qui montre l’utilisation du viol comme arme en Libye, notamment à l’encontre des hommes, et suit le travail de Céline Bardet et des réseaux d’enquêteurs libyens. Et ce travail continue : notre équipe est en contact permanent avec les réseaux sur place qui continuent de recueillir des données et d’accueillir chaque jour des personnes qui témoignent des sévices qu’elles ont subis. Les témoignages s’accumulent donc, d’hommes et de femmes à travers toute la Libye. L’équipe de WWoW est donc heureuse de voir que les autorités internationales se saisissent de la question en Libye. Cela doit permettre à la parole de se libérer, et doit aussi encourager la collaboration et le partage de compétences entre institutions internationales, ONG, et réseaux sur le terrain.


Il y a encore quelques jours, nos contacts à Tripoli nous expliquaient recevoir au moins 3 personnes chaque jour pour recueillir leur témoignage. Les témoignages et les informations existent donc. Mais désormais, il convient de les trier, de les analyser, de les recouper pour pouvoir faire ressortir des éléments utilisables d’un point de vue juridique. C’est l’étape suivante, et celle-ci nécessite des fonds. Notre équipe prévoit en 2019 de former ces enquêteurs à ces méthodes d’analyse très spécifiques. Mais des fonds sont nécessaires pour se rendre sur place. De même, les réseaux libyens travaillent aujourd’hui dans des conditions peu sécurisées, parfois sans accès à internet… WWoW a jusqu’à présent financé la location de bureaux et l’achat de matériel pour leur permettre de travailler dans des conditions décentes. Toutefois, au vu du nombre de cas à traiter, ces enquêteurs libyens ont désormais besoins de se professionnaliser et d’augmenter leurs effectifs, ce qui nécessite une fois encore des fonds.

Depuis la remise du Prix Nobel de la Paix en octobre, un mouvement global pour la reconnaissance des violences sexuelles en conflit est né. Désormais, les Nations Unies reconnaissent que ces violences sont une menace pour la paix en Libye. C’est ce mouvement que porte WWoW depuis plus de 4 ans, et qui doit continuer à progresser.


  • Pour soutenir les réseaux libyens et contribuer au travail d’enquête en cours : notre appel à l’action.

  • Pour voir ou revoir le film Libye, Anatomie d’un crime, réalisé par Cécile Allegra : Le replay Arte.

  • Pour en savoir plus sur l’utilisation du viol comme arme au coeur du conflit libyen : la série de 4 articles sur le blog de WWoW.

  • Pour en savoir plus sur les nouvelles sanctions adoptées par l’ONU et sur le vote : un article de PassBlue.


Photo © ONU Info.



WWOW_LOGO_small_Blanc (1).png

NOUS RETROUVER

SUIVEZ NOUS

  • Youtube
  • Instagram
  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn

© 2024 We are NOT Weapons Of War – Catégorie juridique : 9220 – Association déclarée – W8853003278 – SIRET : 80951234600028

bottom of page