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  • 27 févr. 2019
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

L’évolution de l’incrimination du viol de guerre en droit international pénal : du silence des textes internationaux au crime international.


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Si l’histoire du viol en temps de guerre est aussi dense que l’histoire de la guerre elle-même, elle fut, néanmoins ignorée et passée sous silence durant des siècles en ce que celui-ci était seulement considéré comme un » événement malheureux » lié au contexte atypique et, par essence, violent de la guerre. C’est là toute l’idée du viol comme « dommage collatéral » de la guerre.


Pendant des siècles, la violence sexuelle dans les conflits traverse donc l’Histoire sans être dénoncée. Les violences sexuelles furent également très répandues durant la Seconde Guerre Mondiale mais leur dénonciation fut réduit au mutisme sans qu’aucune mention ne soit faite à ces exactions dans les Chartes de Nuremberg ou de Tokyo. Par conséquent, aucune condamnation pour viol, en tant que crime international à part entière, n’avait été prononcée devant le tribunal de Nuremberg malgré sa prise en compte pour fonder des accusations.


Toutefois, si le caractère silencieux de cette arme de destruction a contribué à obstruer sa sanction, force est de constater que, comme tout juriste averti devrait le savoir, il demeure encore aujourd’hui fort improbable qu’un crime ne soit puni s’il n’est pas lui même reconnu, encadré et sanctionné par le droit.


C’est donc cette absence de répression formelle gravée dans le droit international, elle même liée à l’absence d’incrimination du viol de guerre lui même, qui faisait défaut dans la punition de cet acte lors des conflits passés. En effet, en vertu du principe de légalité des délits et des peines développé par Cesare Beccaria au XVIIIe siècle, personnifié par l’adage « Nullum crimen, nulla pœna sine lege », aucun crime ne peut être puni et aucune peine ne peut être prononcée en l’absence d’un texte pénal clair et précis.

A ce titre, la première grande étape dans l’incrimination et la reconnaissance du viol de guerre furent les quatre Conventionsde Genève du 12 aout 1949 qui, bien que leur article 3 commun ne cite pas expressément le viol et les autres formes de violence sexuelle, avaient interdit « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle » ainsi que « les atteintes à la dignité des personnes». Le viol sera même cité expressément dans l’article 4§2 du Protocole additionnel II de 1977 en énonçant que « demeurent prohibées en tout temps et en tout lieu (…) les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution… ».

Ce mouvement timide mais certain visant à l’incrimination du viol de guerre dans le droit international humanitaire, régissant la manière de faire la guerre pour limiter les souffrances des soldats/civils, a inévitablement connu une intensification face aux atrocités commises lors des conflits armés en Sierra Leone (1991), au Rwanda (1994) et en Bosnie-Herzégovine (1992-95) laissant ainsi place à des juridictions pénales internationales instituées par des résolutions du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Ces juridictions, lors de leurs décisions respectives s’inspirant les unes des autres, se sont affirmées en tant que véritables catalyseurs dans le développement du droit pénal international pour la protection contre les violences sexuelles.

Nous devons notammentcette incrimination du viol en droit international humanitaire, au Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY) institué le 22 février 1993 par la résolution 808 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) également créé le 8 novembre 1994 par le Conseil de sécurité lors de sa résolution 955 et enfin, auTribunal spécial pour la Sierra Leone mis en place le 14 août 2000, par la résolution 1315. Pourquoi la définition du viol de guerre, aussi cruciale fusse-t-elle, était si difficilement appréhendée par le droit international humanitaire et ses juridictions ?

Au risque de paraitre excessivement simpliste, la première raison relève tout d’abord du fait que le viol de guerre est un acte effroyable et unique (dans son sens le plus péjoratif) poussant la cruauté humaine vers ses plus lointaines limites comme l’expliquait Céline BARDET en affirmant que le viol en temps de guerre touche aussi bien des femmes, des hommes, des enfantsmais aussi des bébés.En effet, il est communément admis que « le viol consiste à soumettre un individu par la force ou la violence à une relation sexuelle non volontaire ». Néanmoins, si cette définition semble pertinente dans sa réalité, le viol de guerre ne répond pas à de simples pulsions ressenties par les soldats et constitue réellement une arme de guerre décidée dans les plus hauts lieux du pouvoir afin de détruire en réduisant à néant, physiquement et psychologiquement, les populations visées. L’incrimination du viol de guerre devait donc préalablement passer par une définition adéquate dans le processus d’incrimination en prenant, paradoxalement, un certain recul par rapport aux droits nationaux ne connaissant pas le viol dans ce type de contexte tout en s’y rattachant pour établir ses éléments constitutifs.

A titre d’exemple, en janvier 1996, le Rapporteur spécial pour le Rwanda avait fourni un rapport à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en disant ceci :

« Les formes de viols ne témoignent pas moins de leur systématisation et on peut en retenir deux : les viols collectifs et les rapports incestueux. Les premiers consistent pour la victime à être violée par plusieurs bourreaux à la fois et de nombreuses femmes ayant subi ce type de viols y succombaient. Les seconds sont encore plus révélateurs du caractère systématique, mais aussi atroce des viols : des parents directs, au sens des personnes ayant des liens de consanguinité, ont été contraints d’avoir des rapports incestueux et des miliciens forçait des pères ou des fils à avoir des relations sexuelles avec leurs filles ou leur mère et vice versa. A ces différentes atrocités s’ajoutent des sévices divers ayant généralement causé la mort des femmes. Certaines ont subi des humiliations sexuelles : elles ont été déshabillées et/ou balafrées et présentées à la raillerie du public. D’autres ont vu introduire dans leur sexe des morceaux de branches .»

Lacunaires semblent alors les droits nationaux dans leur manière d’appréhender le viol face à de telles atrocités et le TPIR, face aux atrocités commises au cours du conflit rwandais, a été le premier des tribunaux internationaux ad hocà avoir reconnu aux violences sexuelles la qualité de crime international dans l’affaire Akayesu du 2 septembre 1998*.

En effet, ce fut au cours de cette affaire concernant Jean-Paul Akayesu, ancien bourgmestre de la commune de Taba où de nombreuses femmes avaient été soumises à des sévices sexuels par des policiers et miliciens locaux, qu’une véritable protection pénale internationale pour les victimes de viols a été créée.


Tout l’intérêt de ce jugement résidait dans le fait que la Chambre du TPIR s’était prononcée sur la question de savoir si le crime de viol pouvait être constitutif de crime de génocide. A ce titre, la Chambre avait considéré que le crime de génocide requérant la preuve d’une intention spécifique, les actes de viol devaient être commis dans le but de « détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux» comme énoncé dans l’article 2.2 du Statut du Tribunal. La réponse apportée par le Tribunal fut positive au regard des actes commis et commandés par les hommes agissant sous le contrôle de Jean-Paul Akayesu qui avaient violé des femmes sous la contrainte et la menace de mort.

A ce titre, cette affaire est bien historique en ce que, pour la première fois, un tribunal international condamnait les violences sexuelles, y compris le viol, en tant qu’actes constitutifs de génocide. De plus, la Chambre, à l’occasion de cette affaire Akayesu, avait également élargi la définition du viol au-delà de celles prévues dans les lois nationales en considérant que le viol est constitué par « […] tout acte sexuel commis sur la personne d’autrui sous l’empire de la coercition. L’acte de violence sexuelle, loin de se limiter à la pénétration physique du corps humain, peut comporter des actes qui ne consistent pas dans la pénétration ni même dans des contacts physiques ». En ce sens, les juges du Tribunal avaient alors défini le viol comme une invasion physique de nature sexuelle, de sorte que celui-ci soit assimilé à une forme de torture. En conséquence, en plus de sa condamnation pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, Jean-Paul Akayesu fut condamné pour les viols commis et le fait d’avoir encouragé leur perpétration par des miliciens/policiers à l’encontre des Tutsi.

Parallèlement, le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie avait repris dans l’arrêt Furundzija du 10 décembre 1998, la définition du viol formulée par le TPIR dans Akayesu tout en précisant ses éléments constitutifs en menant une étude dantesque des différentes législations nationales dont celles la Suisse, du Japon, de l’Estonie, de la Bosnie-Herzégovine ou encore du Canada pour dégager trois aspects récurrents des éléments de définition du viol dans ces Etats.

A ce titre, la définition retenue par l’arrêt Furundzija concernant les éléments matériels constitutifs du viol, reprise dans l’affaire Foca du 12 juin 2002, est la suivante : le viol est constitué par « la pénétration sexuelle, fût-elle légère du vagin ou de l’anus de la victime par le pénis ou tout autre objet utilisé par le violeur; ou de la bouche de la victime par le pénis du violeur; par l’emploi de la force, de la menace ou de la contrainte contre la victime ou une tierce personne ».

De plus, la Chambre de première instance du TPIY avait décidé qu’il n’était pas nécessaire de prouver de la part de la victime une résistance à l’acte afin d’établir la commission du viol en ce qu’il suffit de démontrer l’intention, pour l’auteur de l’acte,de pénétrer la victime tout en sachant que cette dernière n’y consent pas.

Concernant l’affaire relative au tristement connu « Camp de Celibici », la Chambre de première instance du TPIY avait pour la première fois retenu le 16 novembre 1998, la qualification de torture des actes de viol en considérant que « la souffrance physique, la peur, l’angoisse, l’incertitude et l’humiliation auxquelles les Appelants ont à plusieurs reprises soumis leurs victimes, font de leurs actes des actes de torture. » Ainsi, les jurisprudences du TPIR et du TPIY constituent les bases fondatrices de l’incrimination des violences sexuelles en droit international pénale, les qualifiant d’actes constitutifs de génocide, de crime contre l’humanité, de crime de guerre, de torture et de violations graves d’un certain nombre de textes de droit international humanitaire.

La Cour Pénale Internationale, instituée par le Statut du Rome en date du 17 juillet 1998, s’est ensuite très largement inspirée de ces décisions pour qualifier le viol de guerre comme arme de guerre. En effet, pour être considéré commeun crime contre l’humanité, la violence sexuelle doit être perpétrée dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique (art. 7.1.g) et pour être constitutif d’un crime de guerre,la violence sexuelle doit être commise dans le contexte d’un conflit armé international ou non international et s’inscrire dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou dans le contexte de crimes commis sur une grande échelle (art. 8.2.b.xxii, et 8.2.e.vi du statut de la CPI).

De plus, toujours selon le Statut de Rome, le viol requiert que l’auteur ait pris possession du corps d’une personne de telle manière qu’il y a eu pénétration, même superficielle, d’une partie du corps de la victime ou de l’auteur par un organe sexuel, ou de l’anus ou du vagin de la victime par un objet ou toute partie du corps (Cf, affaire Furundzija*). De plus, l’usage ou la menace de la force à travers la menace de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques… est également requise.

Ainsi, grâce aux décisions rendues par le TPIR et TPIY ainsi que leur consécration par le Statut de Rome, une uniformisation quant à l’incrimination du viol de guerre a été mise en place sortant ainsi ce crime de l’ombre. Les Nations Unies ont, à ce sujet, publié un communiqué de presse le 19 juin 2008, condamnant fermement ce crime et manifestant leur volonté de le combattre.

Aujourd’hui donc, le viol de guerre dispose d’une assise juridique certaine qui ne fait plus débat en droit pénal international, d’autant plus qu’il peut être envisagé comme constitutif d’un crime de génocide. Malgré tout, la règle reste l’impunité dans ce domaine. Un tel constat nous mène donc à considérer que le problème s’est déplacé et ne réside plus dans le vide juridique dont le viol de guerre a pu faire l’objet, mais autour de la capacité à collecter des éléments recevables devant un tribunal.

Telle est la direction que doit prendre le combat contre l’impunité des violences sexuelles commises en temps de guerre et c’est dans cette lutte que WWoW s’engage. Grâce à l’expérience et l’expertise juridique de Céline BARDET, WWoW travaille sur une nouvelle approche de ce phénomène en se concentrant sur les survivant e s des violences sexuelles en temps de guerre. Grâce au développement du Back Up, le projet est, entre autres, de récupérer et authentifier les témoignages de victimes qui permettront, par la suite, de constituer des éléments solides à intégrer dans des dossiers recevables devant les juridictions internationales. Bassem ALAOUI *TPIR, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, 2 septembre 1998, Aff n° ICTR-96-4-T *TPIY, Le procureur c. Anto Furundzija, 10 décembre 1998, Aff. n° IT-95-17/1-T.


Dernière mise à jour : 24 févr.

Sur la répression des violences sexuelles liées aux conflits


Pour faire cesser ces crimes, nous donnerons aux victimes une voix – leur propre voix.

En donnant l’exemple, ensemble, à travers (…) la compréhension et la coopération, nous pouvons transformer et nous transformerons la réponse publique aux crimes sexuels dans le monde entier, à l’intérieur et en dehors des zones de conflits.


Il y a 7 ans jour pour jour, le 14 février 2012, la Procureure de la Cour Pénale Internationale (CPI) Fatou BENSOUDA, était conviée à une conférence internationale organisée à Sydney, à l’occasion du 10e anniversaire de la CPI (lire l’intégralité de la Déclaration).


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L’occasion se présentait de faire un bilan de l’action de la CPI et Fatou BENSOUDA saluait l’évolution du droit international pénal en matière de violences sexuelles qu’elle estime très « révélatrice du chemin parcouru ». Nous sommes en effet, en quelques décennies, passés d’un refus de poursuivre les crimes à caractère sexuel lors du procès de Nuremberg, au Statut de Rome de la CPI, représentant la première incrimination explicite des violences sexuelles comme éléments constitutifs de crimes internationaux en droit positif.

Mme BENSOUDA affirmait alors son engagement dans la poursuite de telles exactions en assurant que le statut tout comme sa mise en oeuvre, par le Bureau du Procureur, portaient une attention particulière au traitement des crimes à nature sexuelle : « C’est dans ce sens que le Bureau du Procureur s’est constamment efforcé d’assurer à son personnel une formation adéquate lui permettant d’intégrer une perspective «sexospécifique» dans ses enquêtes et ses affaires, tout en présentant les aspects du conflit liés au genre en liaison avec les éléments contextuels des crimes définis par le Statut de Rome ». Elle insistait toutefois sur la difficulté que rencontre la poursuite de tels crimes, liée à ce qu’elle estimait être un accord tacite des sociétés pour fermer les yeux sur de tels faits. Il existerait un tabou qui contribuerait à minimiser et banaliser ce genre de violences en induisant une honte auprès des victimes qui les réduirait au silence. Fatou BENSOUDA insistait alors sur le fait que la loi et les procédures judiciaires devaient être une arme puissante pour mettre la lumière sur ces crimes, redonner la parole aux victimes et punir leurs auteurs. Elle saisissait alors cette occasion pour rappeler le rôle crucial que joue la société civile, notamment les organisations internationales qui représentent parfois le seul soutien pour les victimes de violences sexuelles commises lors des conflits. Madame BENSOUDA s’engageait à renforcer la coopération entre le Bureau du procureur et ces organisations afin d’atteindre encore plus de victimes.

Il y a 7 ans, cette déclaration montrait la volonté de la CPI de réprimer avec force les crimes à caractère sexuel dans les conflits. Depuis, la Cour a rappelé à plusieurs reprises sont engagement sur cette question, et s’efforce de donner à ses enquêteurs les compétences nécessaires pour travailler sur les crimes impliquant des violences sexuelles. Néanmoins, force est de constater que la CPI fait face à des blocages et que son fonctionnement est en partie à repenser. L’acquittement du congolais Jean-Pierre Bemba en 2018 faute d’éléments pour prouver sa culpabilité ou encore l’impunité qui règne en Libye face aux sévices sexuels, témoignent d’une certaine impuissance de la CPI et de ses méthodes d’enquête.

Cependant, les mots de cette déclaration de 2012 sont toujours très justes. WWoW est convaincu qu’il est nécessaire de favoriser la coopération entre les instances internationales telles que la CPI et les ONG et réseaux locaux. Il est tout aussi important de former les enquêteurs aux caractéristiques des crimes sexuels, de comprendre ce que renferment les violences sexuelles liées au conflit. Le travail de la CPI en sera d’autant plus solide et lui permettra de réaliser sa mission des plus nobles : lutter contre l’impunité. C’est en ce sens que l’équipe de WWoW travaille au quotidien. Céline Bardet, fondatrice et directrice de l’ONG, ne cesse de rappeler l’importance d’apporter soutien et justice aux victimes des violences sexuelles liées aux conflits. En apportant l’aide médicale et juridique dont elles ont besoin, WWoW entend aussi leur redonner une voix qui sera entendue et écoutée par toute la communauté internationale.

Redonner leurs voix aux victimes, c’est aussi l’un des maîtres mots du Forum International « Stand Speak Rise Up ! ». Cet événement co-organisé par S.A.R la Grande Duchesse du Luxembourg, We Are Not Weapons of War et la Fondation Mukwege veut redonner un pouvoir d’action aux survivant.e.s des violences sexuelles dans les conflits. Fatou Bensouda, Procureure Générale de la CPI sera également présente à ce Forum qui veut montrer que c’est en faisant collaborer instances internationales, ONG, experts et activistes locaux, que l’on peut apporter une réponse concrète aux violences sexuelles liées aux conflits. Juliette Vandest


Dernière mise à jour : 24 févr.

Le 2 septembre 1998, la Chambre I du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), rendait son jugement dans l’affaire « Procureur contre Jean-Paul AKAYESU ». Elle reconnaissait la responsabilité de ce dernier, ancien directeur du mouvement démocratique républicain de sa région, pour sa participation au génocide des populations Tutsis, au Rwanda en 1994. Le TPIR, fut notamment convaincu de sa participation aux nombreux viols qui ont été perpétrés, au cours de cette période, en encourageant ces crimes par sa présence, son attitude et ses déclarations.

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Vingt ans plus tard, le jugement AKAYESU reste un classique du droit international pénal, puisqu’il est l’un des seuls à reconnaitre la qualification de crime de génocide à des faits de viol. L’étude de cette qualification permet de mettre en lumière un aspect du viol de guerre, auquel nous pensons peu dans nos sociétés occidentales, mais qui révèle pourtant le pouvoir de ce crime, véritable arme dévastatrice.


L’article 2 du statut du TPIR donne compétence à cette juridiction pour connaitre des faits de génocide qu’elle définit comme « l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe». Cette définition est reprise à l’identique dans l’article 6 du Statut de la Cour Pénale internationale (CPI). Il peut paraitre étonnant que la Chambre I ait reconnu en 1998, la qualification de génocide pour des faits de viol, dès lors qu’il n’apparait pas, dans le Statut du TPIR, comme étant une infraction constitutive du crime génocide.


C’est en réalité par l’interprétation de l’article 2 que le TPIR a su faire évoluer ce crime, en considérant que le viol pouvait être constitutif de génocide. En effet, les juges internationaux ont considéré qu’un tel comportement pouvait constituer une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale d’un groupe, dès lors qu’il était perpétré dans l’intention spécifique de détruire « en tout ou en partie », un groupe national, ethnique, racial ou religieux. L’intention génocidaire a alors été retenue, la preuve étant rapportée que ces exactions avaient été exclusivement dirigées contre les femmes Tutsis et faisaient partie intégrante du processus de destruction de cette population. Ces crimes participaient à l’anéantissement physique et mental des victimes, de leur familles et de leur groupe.


Dans l’interprétation que livre le TPIR, le 2 septembre 1998, celui-ci estime que le viol de guerre peut aussi être constitutif de crime de génocide en tant que mesure visant à entraver les naissances. Il relève à juste titre que dans les sociétés patriarcales, où l’appartenance ethnique de l’enfant est liée à l’identité du père, le viol d’une femme avec la volonté et l’intention de donner naissance à un enfant qui n’appartiendra pas au groupe de sa mère, participe à la destruction dudit groupe. D’autant plus que de tels actes ont des conséquences sur le mental des victimes pouvant entrainer un traumatisme et un refus de procréer.

Sont ici mises en avant les conséquences du viol qui en font sa toute puissance en tant qu’arme de guerre. Au delà des effets dramatiques qu’il produit sur la victime, le mal tend à se répandre, au delà de sa personne, pour toucher le groupe entier, en cela le viol de guerre est une « arme à déflagration multiple » comme l’explique Céline BARDET*.


Ces conséquences peuvent paraitre marginales, voir inexistantes dans nos sociétés occidentales, mais sont bien présentes dans les sociétés orientales, pour lesquelles le viol reste un tabou d’envergure. C’est ainsi qu’Omar GUERRERO, psychologue et psychanalyste au Centre Primo Levi, spécialisé dans l’accueil et l’aide aux victimes de torture, mentionne le viol de guerre comme une « arme radioactive »*. Il explique que les hommes qui violent, produisent quelque chose de durable dans le temps, qui « irradie ». Une femme violée fera souvent l’objet d’un rejet de la part de sa famille, de son groupe. Son couple risque le bannissement et les enfants qu’elle aura seront soupçonnés d’être des « bâtards ». Selon, Omar GUERRERO c’est l’essence même des liens de parenté, des liens humains, qui sont atteins par l’acte de viol. Utilisé pour humilier et anéantir des populations, le viol de guerre devient un moyen qui s’intègre dans un processus de destruction massive.


La question du génocide par le viol, reste toutefois évoquée avec beaucoup de précaution tant il est toujours difficile d’apporter la preuve d’une intention génocidaire au geste. Cette difficulté peut expliquer que la CPI peine à attribuer une telle qualification à des faits de viols. Elle dispose pourtant de la même définition du génocide que le TPIR et lui emprunte son interprétation. Dans le Document de politique générale relatif aux crimes sexuels et à caractère sexiste, rédigé par le Bureau du Procureur de la CPI et rendu public en Juin 2014, il est expliqué que tous les actes sous-jacents à l’article 6 du Statut de Rome et constitutifs du crime de génocide, peuvent constituer en « un élément sexuel ». Le Bureau reconnait que le viol « peut faire partie intégrante du processus de destruction infligé à un groupe particulier de personnes et, dans de telles circonstances, peut être qualifié de génocide ». Une telle qualification pourrait ainsi permettre d’incriminer et de poursuivre des faits de viols dans des situations où les contextes de conflit armé ou d’attaque systématique contre une population civile, indispensables pour qualifier un crime de guerre ou un crime contre l’Humanité, sont difficiles à caractériser.


Loin de ne toucher que les femmes, le viol de guerre est aujourd’hui utilisé dans nombre de conflits armés, parfois de façon systématique. Il est donc important que cette dimension du viol de guerre soit prise en compte dans la volonté politique actuelle de renforcer la répression de ces actes. Bien qu’un tel comportement ait eu du mal à trouver sa place au sein des crimes internationaux, le viol dispose aujourd’hui d’une assise juridique certaine. Il doit maintenant être vu comme une réelle arme, puissante, qui peut constituer une étape dans « la volonté de destruction d’un groupe, de son mental, de la volonté de vivre de ses membres et de leurs vies elles-mêmes »*. Une vigilance accrue doit être portée sur ce mal dont les répercussions ne connaissent pas de frontières et ne se résument pas dans le mal-être physique et mental de la victime, mais se propagent au sein d’une communauté entière tel un fléau, celui de la guerre.


Juliette VANDEST


* « Je ne suis pas une arme de guerre. Et vous ? » – Céline BARDET – TEDX Paris – 5 octobre 2014 -> à retrouver ici.


* Entretien avec Omar Guerrero « On essaie de faire de la chirurgie de la pudeur » in « Impunité Zéro – violences sexuelles en temps de guerre »,

J. BRABANT, L. MINANO et A.L. PINEAU, ed. Autrement, Paris 2017, pp. 49-53


*TPIR, Chambre I, Le procureur contre Jean Paul AKAYESU, affaire n° ICTR-96-4-T, p. 297.


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