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  • 27 févr. 2019
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

L’évolution de l’incrimination du viol de guerre en droit international pénal : du silence des textes internationaux au crime international.


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Si l’histoire du viol en temps de guerre est aussi dense que l’histoire de la guerre elle-même, elle fut, néanmoins ignorée et passée sous silence durant des siècles en ce que celui-ci était seulement considéré comme un » événement malheureux » lié au contexte atypique et, par essence, violent de la guerre. C’est là toute l’idée du viol comme « dommage collatéral » de la guerre.


Pendant des siècles, la violence sexuelle dans les conflits traverse donc l’Histoire sans être dénoncée. Les violences sexuelles furent également très répandues durant la Seconde Guerre Mondiale mais leur dénonciation fut réduit au mutisme sans qu’aucune mention ne soit faite à ces exactions dans les Chartes de Nuremberg ou de Tokyo. Par conséquent, aucune condamnation pour viol, en tant que crime international à part entière, n’avait été prononcée devant le tribunal de Nuremberg malgré sa prise en compte pour fonder des accusations.


Toutefois, si le caractère silencieux de cette arme de destruction a contribué à obstruer sa sanction, force est de constater que, comme tout juriste averti devrait le savoir, il demeure encore aujourd’hui fort improbable qu’un crime ne soit puni s’il n’est pas lui même reconnu, encadré et sanctionné par le droit.


C’est donc cette absence de répression formelle gravée dans le droit international, elle même liée à l’absence d’incrimination du viol de guerre lui même, qui faisait défaut dans la punition de cet acte lors des conflits passés. En effet, en vertu du principe de légalité des délits et des peines développé par Cesare Beccaria au XVIIIe siècle, personnifié par l’adage « Nullum crimen, nulla pœna sine lege », aucun crime ne peut être puni et aucune peine ne peut être prononcée en l’absence d’un texte pénal clair et précis.

A ce titre, la première grande étape dans l’incrimination et la reconnaissance du viol de guerre furent les quatre Conventionsde Genève du 12 aout 1949 qui, bien que leur article 3 commun ne cite pas expressément le viol et les autres formes de violence sexuelle, avaient interdit « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle » ainsi que « les atteintes à la dignité des personnes». Le viol sera même cité expressément dans l’article 4§2 du Protocole additionnel II de 1977 en énonçant que « demeurent prohibées en tout temps et en tout lieu (…) les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution… ».

Ce mouvement timide mais certain visant à l’incrimination du viol de guerre dans le droit international humanitaire, régissant la manière de faire la guerre pour limiter les souffrances des soldats/civils, a inévitablement connu une intensification face aux atrocités commises lors des conflits armés en Sierra Leone (1991), au Rwanda (1994) et en Bosnie-Herzégovine (1992-95) laissant ainsi place à des juridictions pénales internationales instituées par des résolutions du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Ces juridictions, lors de leurs décisions respectives s’inspirant les unes des autres, se sont affirmées en tant que véritables catalyseurs dans le développement du droit pénal international pour la protection contre les violences sexuelles.

Nous devons notammentcette incrimination du viol en droit international humanitaire, au Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY) institué le 22 février 1993 par la résolution 808 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, au Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) également créé le 8 novembre 1994 par le Conseil de sécurité lors de sa résolution 955 et enfin, auTribunal spécial pour la Sierra Leone mis en place le 14 août 2000, par la résolution 1315. Pourquoi la définition du viol de guerre, aussi cruciale fusse-t-elle, était si difficilement appréhendée par le droit international humanitaire et ses juridictions ?

Au risque de paraitre excessivement simpliste, la première raison relève tout d’abord du fait que le viol de guerre est un acte effroyable et unique (dans son sens le plus péjoratif) poussant la cruauté humaine vers ses plus lointaines limites comme l’expliquait Céline BARDET en affirmant que le viol en temps de guerre touche aussi bien des femmes, des hommes, des enfantsmais aussi des bébés.En effet, il est communément admis que « le viol consiste à soumettre un individu par la force ou la violence à une relation sexuelle non volontaire ». Néanmoins, si cette définition semble pertinente dans sa réalité, le viol de guerre ne répond pas à de simples pulsions ressenties par les soldats et constitue réellement une arme de guerre décidée dans les plus hauts lieux du pouvoir afin de détruire en réduisant à néant, physiquement et psychologiquement, les populations visées. L’incrimination du viol de guerre devait donc préalablement passer par une définition adéquate dans le processus d’incrimination en prenant, paradoxalement, un certain recul par rapport aux droits nationaux ne connaissant pas le viol dans ce type de contexte tout en s’y rattachant pour établir ses éléments constitutifs.

A titre d’exemple, en janvier 1996, le Rapporteur spécial pour le Rwanda avait fourni un rapport à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en disant ceci :

« Les formes de viols ne témoignent pas moins de leur systématisation et on peut en retenir deux : les viols collectifs et les rapports incestueux. Les premiers consistent pour la victime à être violée par plusieurs bourreaux à la fois et de nombreuses femmes ayant subi ce type de viols y succombaient. Les seconds sont encore plus révélateurs du caractère systématique, mais aussi atroce des viols : des parents directs, au sens des personnes ayant des liens de consanguinité, ont été contraints d’avoir des rapports incestueux et des miliciens forçait des pères ou des fils à avoir des relations sexuelles avec leurs filles ou leur mère et vice versa. A ces différentes atrocités s’ajoutent des sévices divers ayant généralement causé la mort des femmes. Certaines ont subi des humiliations sexuelles : elles ont été déshabillées et/ou balafrées et présentées à la raillerie du public. D’autres ont vu introduire dans leur sexe des morceaux de branches .»

Lacunaires semblent alors les droits nationaux dans leur manière d’appréhender le viol face à de telles atrocités et le TPIR, face aux atrocités commises au cours du conflit rwandais, a été le premier des tribunaux internationaux ad hocà avoir reconnu aux violences sexuelles la qualité de crime international dans l’affaire Akayesu du 2 septembre 1998*.

En effet, ce fut au cours de cette affaire concernant Jean-Paul Akayesu, ancien bourgmestre de la commune de Taba où de nombreuses femmes avaient été soumises à des sévices sexuels par des policiers et miliciens locaux, qu’une véritable protection pénale internationale pour les victimes de viols a été créée.


Tout l’intérêt de ce jugement résidait dans le fait que la Chambre du TPIR s’était prononcée sur la question de savoir si le crime de viol pouvait être constitutif de crime de génocide. A ce titre, la Chambre avait considéré que le crime de génocide requérant la preuve d’une intention spécifique, les actes de viol devaient être commis dans le but de « détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux» comme énoncé dans l’article 2.2 du Statut du Tribunal. La réponse apportée par le Tribunal fut positive au regard des actes commis et commandés par les hommes agissant sous le contrôle de Jean-Paul Akayesu qui avaient violé des femmes sous la contrainte et la menace de mort.

A ce titre, cette affaire est bien historique en ce que, pour la première fois, un tribunal international condamnait les violences sexuelles, y compris le viol, en tant qu’actes constitutifs de génocide. De plus, la Chambre, à l’occasion de cette affaire Akayesu, avait également élargi la définition du viol au-delà de celles prévues dans les lois nationales en considérant que le viol est constitué par « […] tout acte sexuel commis sur la personne d’autrui sous l’empire de la coercition. L’acte de violence sexuelle, loin de se limiter à la pénétration physique du corps humain, peut comporter des actes qui ne consistent pas dans la pénétration ni même dans des contacts physiques ». En ce sens, les juges du Tribunal avaient alors défini le viol comme une invasion physique de nature sexuelle, de sorte que celui-ci soit assimilé à une forme de torture. En conséquence, en plus de sa condamnation pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, Jean-Paul Akayesu fut condamné pour les viols commis et le fait d’avoir encouragé leur perpétration par des miliciens/policiers à l’encontre des Tutsi.

Parallèlement, le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie avait repris dans l’arrêt Furundzija du 10 décembre 1998, la définition du viol formulée par le TPIR dans Akayesu tout en précisant ses éléments constitutifs en menant une étude dantesque des différentes législations nationales dont celles la Suisse, du Japon, de l’Estonie, de la Bosnie-Herzégovine ou encore du Canada pour dégager trois aspects récurrents des éléments de définition du viol dans ces Etats.

A ce titre, la définition retenue par l’arrêt Furundzija concernant les éléments matériels constitutifs du viol, reprise dans l’affaire Foca du 12 juin 2002, est la suivante : le viol est constitué par « la pénétration sexuelle, fût-elle légère du vagin ou de l’anus de la victime par le pénis ou tout autre objet utilisé par le violeur; ou de la bouche de la victime par le pénis du violeur; par l’emploi de la force, de la menace ou de la contrainte contre la victime ou une tierce personne ».

De plus, la Chambre de première instance du TPIY avait décidé qu’il n’était pas nécessaire de prouver de la part de la victime une résistance à l’acte afin d’établir la commission du viol en ce qu’il suffit de démontrer l’intention, pour l’auteur de l’acte,de pénétrer la victime tout en sachant que cette dernière n’y consent pas.

Concernant l’affaire relative au tristement connu « Camp de Celibici », la Chambre de première instance du TPIY avait pour la première fois retenu le 16 novembre 1998, la qualification de torture des actes de viol en considérant que « la souffrance physique, la peur, l’angoisse, l’incertitude et l’humiliation auxquelles les Appelants ont à plusieurs reprises soumis leurs victimes, font de leurs actes des actes de torture. » Ainsi, les jurisprudences du TPIR et du TPIY constituent les bases fondatrices de l’incrimination des violences sexuelles en droit international pénale, les qualifiant d’actes constitutifs de génocide, de crime contre l’humanité, de crime de guerre, de torture et de violations graves d’un certain nombre de textes de droit international humanitaire.

La Cour Pénale Internationale, instituée par le Statut du Rome en date du 17 juillet 1998, s’est ensuite très largement inspirée de ces décisions pour qualifier le viol de guerre comme arme de guerre. En effet, pour être considéré commeun crime contre l’humanité, la violence sexuelle doit être perpétrée dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique (art. 7.1.g) et pour être constitutif d’un crime de guerre,la violence sexuelle doit être commise dans le contexte d’un conflit armé international ou non international et s’inscrire dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou dans le contexte de crimes commis sur une grande échelle (art. 8.2.b.xxii, et 8.2.e.vi du statut de la CPI).

De plus, toujours selon le Statut de Rome, le viol requiert que l’auteur ait pris possession du corps d’une personne de telle manière qu’il y a eu pénétration, même superficielle, d’une partie du corps de la victime ou de l’auteur par un organe sexuel, ou de l’anus ou du vagin de la victime par un objet ou toute partie du corps (Cf, affaire Furundzija*). De plus, l’usage ou la menace de la force à travers la menace de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques… est également requise.

Ainsi, grâce aux décisions rendues par le TPIR et TPIY ainsi que leur consécration par le Statut de Rome, une uniformisation quant à l’incrimination du viol de guerre a été mise en place sortant ainsi ce crime de l’ombre. Les Nations Unies ont, à ce sujet, publié un communiqué de presse le 19 juin 2008, condamnant fermement ce crime et manifestant leur volonté de le combattre.

Aujourd’hui donc, le viol de guerre dispose d’une assise juridique certaine qui ne fait plus débat en droit pénal international, d’autant plus qu’il peut être envisagé comme constitutif d’un crime de génocide. Malgré tout, la règle reste l’impunité dans ce domaine. Un tel constat nous mène donc à considérer que le problème s’est déplacé et ne réside plus dans le vide juridique dont le viol de guerre a pu faire l’objet, mais autour de la capacité à collecter des éléments recevables devant un tribunal.

Telle est la direction que doit prendre le combat contre l’impunité des violences sexuelles commises en temps de guerre et c’est dans cette lutte que WWoW s’engage. Grâce à l’expérience et l’expertise juridique de Céline BARDET, WWoW travaille sur une nouvelle approche de ce phénomène en se concentrant sur les survivant e s des violences sexuelles en temps de guerre. Grâce au développement du Back Up, le projet est, entre autres, de récupérer et authentifier les témoignages de victimes qui permettront, par la suite, de constituer des éléments solides à intégrer dans des dossiers recevables devant les juridictions internationales. Bassem ALAOUI *TPIR, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, 2 septembre 1998, Aff n° ICTR-96-4-T *TPIY, Le procureur c. Anto Furundzija, 10 décembre 1998, Aff. n° IT-95-17/1-T.


  • 15 févr. 2019
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

L’histoire des violences sexuelles liées aux conflits : du dommage collatéral à l’arme de guerre


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Les violences sexuelles ont toujours fait partie intégrante de la guerre. Tous les conflits de l’Histoire ont vu des abus sexuels commis à plus ou moins grande échelle. Néanmoins, cette violence a évolué au cours du temps. Elle est passée d’une pratique profitant du chaos de la guerre, à une stratégie, un instrument au service de la guerre.

Les victimes de violences sexuelles dans les conflits ont longtemps été considérées comme des « dommages collatéraux » de la guerre. Cette vision des choses est très ancienne et renvoie à l’idée qu’il y aurait une fatalité de la violence sexuelle dans la guerre, que celle-ci en ferait fatalement partie.

Déjà dans la mythologie romaine, le rapt des Sabines évoquait l’enlèvement de jeunes filles par des hommes venus de Rome qui souhaitaient les épouser.


Durant l’Antiquité, le Moyen-âge et l’Epoque Moderne, cette notion prévaut. Les femmes des vaincus sont considérées comme une partie légitime du butin de guerre conquis, au même titre que les biens matériels. Le viol est vu comme une part intégrante du pillage, un droit de disposer des femmes que s’arrogent les vainqueurs au fil de leur avancée. Durant les guerres de conquêtes – celles qui emmènent le combattant loin de chez lui et pour longtemps – le viol est même considéré comme une récompense personnelle, utile au moral des troupes. Les femmes et les jeunes filles sont alors les premières victimes de ce viol du vainqueur sur le vaincu.

Le premier texte à protéger les femmes de ces violences fut le Code Lieber de 1863, du nom de son rédacteur, qui fondait cette protection sur le « caractère sacré des relations de famille ».Signé par le Président Lincoln, ce Code avait pour but d’encadrer l’attitude à adopter avec les prisonniers de guerre par exemple, lors de la Guerre de Sécession.

Mais sans cadre légal international, les violences sexuelles restent prégnantes au sein des conflits du XXe siècle. Le terrible massacre de Nankin en Chine (1937-1938) en est l’un des exemples les plus tristes : les soldats japonais ont violé et mutilé de très nombreuses femmes chinoises avant de les tuer.

La Seconde Guerre Mondiale voit elle aussi des soldats profiter du chaos généré par la guerre pour se livrer à des abus sexuels. C’est le cas en Italie avec les crimes de Ciociarie d’avril à juin 1944 : dans les régions du Lathium, de la Toscane et de la Ciociarie, les corps expéditionnaires français, composés de soldats algériens, marocains, tunisiens et sénégalais violent et massacrent les populations locales. Toujours durant le second conflit mondial, le Japon met en place ce qui sera appelé les « femmes de réconfort ». Ce système de prostitution visait à permettre aux soldats nippons d’assouvir leurs besoins sexuels et exploitait massivement des femmes japonaises, chinoises ou encore coréennes.

Le viol durant la Seconde Guerre Mondiale est donc plutôt un « viol d’opportunisme ». Les abus sexuels profitent de l’absence totale de règles générée par les combats, du chaos de la guerre. Mais c’est aussi un viol de vengeance et d’humiliation de l’ennemi : ce fut le cas en Allemagne lors de l’entrée des troupes américaines, britanniques et françaises dans le pays, où de nombreuses femmes allemandes furent violées par vengeance. Les viols commis par les soldats russes en Allemagne sont aussi inscrits dans l’Histoire, notamment dans la capitale, où on estime que 100 000 Berlinoises auraient été violées. Enfin, la Seconde Guerre Mondiale montre aussi un premier triste exemple du viol utilisé comme outil ethnique : l’Allemagne nazie avait en effet instauré les Lebensborn, ces « maisons à bébés » qui avaient pour but de faire naître les futurs individus de la race aryenne. Des soldats allemands choisis selon des critères physiques venaient avoir des relations avec des jeunes femmes, elles aussi choisies en fonction de leur physique. Si certaines d’entre elles étaient des militantes nazies convaincues de l’importance de faire prospérer la race aryenne, d’autres furent violées et contraintes de donner naissance à des enfants dans ces centres où le viol est donc devenu un outil ethnique.

A la suite de la guerre, la Convention de Genève de 1949 condamne explicitement les atteintes physiques ou morales sur les civils, notamment le viol et la prostitution.

Cependant, les sévices sexuels demeurent monnaie courante dans les conflits qui suivent. La violence sexuelle est présente dans différents conflits issus de la décolonisation. En Algérie, elle est utilisée par l’armée française comme outil de torture sur les femmes, pour que celles-ci révèlent les lieux où se cachent les hommes appartenant à la résistance algérienne. En Algérie et ailleurs, les combattants profitent aussi du chaos de la guerre pour abuser de jeunes femmes dans une logique de « viol d’opportunisme » une nouvelle fois. On retrouve ces pratiques dans d’autres conflits, dans la guerre du Vietnam par exemple, où de nombreux viols ont également été répertoriés.

Un tournant se produit dans les années 1990. Deux conflits majeurs de cette décennie, dans les Balkans et au Rwanda, marquent un changement radical dans la conception de ce qu’est le viol dans les conflits. En effet, le viol de guerre a maintenant un but particulier, c’est une partie intégrante dans la méthode employée pour vaincre son ennemi, et par ailleurs asseoir sa domination. La guerre se fait par le viol. Ces violences sexuelles ont la particularité de traumatiser la population vaincue à la fois physiquement par les mutilations, mais aussi psychologiquement par le climat de terreur et d’humiliation qui s’étend au-delà de la victime directe.


Une systématisation du viol s’opère dans les conflits en Bosnie et au Rwanda, et marque bien la transition de la place du viol et des violences sexuelles au sein de la guerre, ainsi que leur perception par les dirigeants militaires. Auparavant les viols qui avaient lieu étaient tolérés, sinon autorisés, tandis qu’à présent, ils se font sur ordre et sous la supervision des supérieurs hiérarchiques. Au Rwanda, des « bataillons de violeurs »porteurs du VIH ont été formés pour violer. Cette technique a été qualifiée de « meurtre »par Silvana Arbia, procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda. En Bosnie, des camps de viols ont été institués à Foča et Višegrad (près de la frontière serbe), où les soldats serbes disposaient librement des femmes musulmanes capturées.

Dans ces deux conflits, la violence sexuelle est donc devenue stratégique. Elle a été pensée, planifiée et ordonnée en haut lieu. Elle est utilisée comme n’importe quelle autre arme au cœur de la guerre. Dans les deux cas cités ici, le viol est un instrument de nettoyage ethnique au service de la guerre.

Ces nouvelles violences – nouvelles car elles ne s’apparentent pas aux violences sexuelles perpétrées par le passé en temps de guerre – reflètent alors une volonté de destruction du groupe ennemi dans ce qu’il a d’intrinsèque : il faut empêcher la reproduction et détruire le lien social, à l’échelle familiale ou communautaire. Janine Altounian, dans La survivance*, analyse ces violences : « Si les exterminations n’oublient jamais dans leur programme, à côté de l’exécution des hommes, le viol des femmes voire l’éventrement des femmes enceintes ou la mutilation des parties génitales des deux sexes, c’est qu’au-delà de la destruction visible des vies, elles ambitionnent surtout celle, invisible et secrète du lieu de fécondation, de l’espace intérieur où germe la vie ». Il existe bien l’idée de détruire l’ennemi, en allant aussi loin que possible dans sa chair, par l’anéantissement de la fécondité. Les gestations et castrations forcées en Bosnie sont l’exemple de la volonté d’éliminer une population ciblée, ici en faisant disparaître le « gène bosniaque ».

Par ailleurs, le viol est commis de manière publique dans les deux conflits précités. Les soldats arrivant dans un village réunissaient les familles pour commettre les violences en présence de tous. Le but de ces actes est donc d’humilier la femme, mais aussi toute la communauté ou la famille obligée d’assister aux exactions, et parfois d’y participer. La torture perpétrée à l’encontre de la victime constitue également une torture psychologique à l’encontre de la communauté. Le but est alors de déconstruire le lien social – qui fait de la communauté ce qu’elle est – pour en entraîner l’anéantissement.

Cet anéantissement s’apparente à un lent délitement : Céline Bardet, fondatrice de We Are Not Weapons of War (WWoW), parle de « bombe à déflagration »dont l’étendue des dégâts est difficile à saisir. Plus de vingt ans après les conflits, les victimes ont à vivre avec les conséquences physiques et psychologiques de ces violences. Ce trauma s’accompagne souvent de l’exclusion de la personne ayant subi les violences. Dans le documentaire « Rwanda, la vie après. Paroles de mères. »*, six rescapées racontent leur histoire, en particulier celle qui commence après la fin du génocide. Ces femmes, « infectées de l’intérieur »par les maladies et les enfantements, furent rejetées par les survivants de leur famille et de leur communauté. Elles se retrouvent alors isolées, dans une situation particulièrement précaire et obligées d’élever seules les enfants issus de leurs viols. Se pose alors la question de l’éducation de l’enfant et de sa place au sein de la communauté victime par la difficile, voire impossible, dissociation entre l’enfant lui-même et l’agresseur. Les enfants issus des viols sont d’ailleurs très largement rejetés, souvent traités d’ « interahamwe », nom de la plus grande milice hutu durant la guerre.

Les réactions de la communauté et des familles exposent parfaitement le délitement du tissu social. Quand bien même il y aurait des survivants, la communauté est dans l’incapacité de se reconstruire. D’une part, le viol de guerre empêche la communauté de se regrouper après le conflit pour se reconstruire, par l’isolement de certains de ses membres. Cet isolement est le fait direct de la communauté, qui n’accepte plus certains de ses membres « souillés », ou de la volonté de la victime qui se sent trop humiliée pour faire encore partie du groupe. L’omerta, maître mot de ces situations, empêche le groupe de surmonter l’humiliation. D’autre part, les violences sexuelles atteignent la dignité des hommes et des femmes qui se trouvent incapables, d’un point de vue physique et psychologique, d’avoir une sexualité par la suite. Ces séquelles empêchent nécessairement les familles de se reconstruire. La destruction du lien social participe par ce biais à l’anéantissement de la fécondité.

Les conflits contemporains suivent cette même logique initiée dans les années 1990. Le « viol d’opportunisme » profitant du chaos de la guerre existe bel et bien toujours à l’heure actuelle. Mais de façon parallèle, le viol comme arme de la guerre est aujourd’hui très prégnant. Il peut être un outil de terreur et de répression politique comme c’est le cas en Libye ou en Syrie – et il touche alors de très nombreux hommes. Il peut aussi être un moyen d’asseoir son emprise sur des populations et des territoires, dans le but d’en contrôler les ressources, comme on le constate en RCA ou au Congo. Enfin, il est aujourd’hui une arme ethnique, utilisée par exemple contre les Rohingyas en Birmanie, de la même manière qu’il fut utilisé en Bosnie ou au Rwanda.

C’est donc bien une « bombe à déflagration »,qui impose toujours le même constat : le viol de guerre est une arme de destruction silencieuse, dont les dégâts ne connaissent pas de limites.

Claire-Elise PERON

Raphaëlle Branche & Fabrice Virgili (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011, 270 p. *Janine Altounian, La Survivance. Traduire le trauma collectif, Paris, Dunod, 2000 *Documentaire « Rwanda, la vie après. Paroles de mères. » réalisé par Benoît Dervaux et André Versaille


  • 23 oct. 2018
  • 12 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

Les articles de cette série publiés la semaine dernière, ont dressé un tableau bien sombre de l’utilisation du viol dans le conflit libyen. Arme de répression politique puis outil de vengeance entre tribus, le viol mine le pays depuis 2011. Ils laissent ses victimes silencieuses et effacées de la vie publique, des femmes et des hommes libyens, mais aussi des migrants venus de différents pays d’Afrique.

Mais face à ce triste constat, que faire ? C’est une question que l’on pose souvent à l’équipe de We Are Not Weapons of War (WWoW). Que peut-on faire, que peut-on mettre en place pour lutter contre le viol de guerre ? Ce dernier article vise à montrer les actions entreprises et celles à entreprendre pour lutter contre ce fléau. Céline Bardet et toute l’équipe de WWoW insiste beaucoup sur ces potentielles solutions. Pour qu’après avoir regardé le film Libye, Anatomie d’un crime diffusé hier soir sur Arte, vous spectateurs, vous lecteurs, ne restiez pas engourdis dans un sentiment d’impuissance. Les solutions existent, mais elles ont besoin d’être connues et soutenues. Elles concernent l’aspect juridique bien-sûr, et cet article montrera que si le pouvoir d’action de la Cour Pénale Internationale (CPI) est limité, d’autres pistes existent. Mais le viol de guerre pose aussi des défis médicaux, psychologiques, sociaux, et la réponse à y apporter doit être plurielle.


A la suite de la diffusion du film Libye, Anatomie d’un crime hier soir, cet article propose donc une conclusion. Il fait un bilan sur le processus de justice en Libye et la poursuite des crimes de guerre et notamment du viol. Mais il veut aussi mettre en lumière les actions menées par les réseaux libyens sur place, avec lesquels WWoW travaille au quotidien.


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L’approche juridique est centrale dans le traitement des violences sexuelles en conflit. Et très souvent, nos équipes reçoivent de nombreuses interrogations quant au rôle de la Cour Pénale Internationale (CPI). Contrairement aux conflits syrien, irakien ou yéménite ; la CPI peut exercer sa compétence sur la Libye, grâce à la Résolution 1970 adoptée le 26 février 2011 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. La Cour est ainsi rendue compétente quant aux crimes commis en Libye à partir du 15 février. Le 27 juin 2011, Luis Moreno Ocampo, alors Procureur Général, émet 3 mandats d’arrêt contre Mouammar Kadhafi, son fils Saïf al-Islam Kadhafi, et Abdoullah al-Senoussi. Rappelons ici que la CPI poursuit uniquement des personnes et non pas des Etats. Ces mandats concernent des crimes contre l’humanité, avec torture, arrestations arbitraires et disparitions forcées ; mais ici, aucune mention n’est faite de crimes relatifs aux violences sexuelles. Par la suite, Interpol émet un mandat d’arrêt contre les 3 accusés, le 9 septembre. Mouammar Kadhafi ne fera pas face à la CPI, la justice des armes le condamnant le 20 octobre à Syrte. Son fils Saïf al-Islam (signifiant littéralement « le glaive de l’islam ») est lui aussi accusé de crimes de guerre. Il n’avait pas de position politique officielle dans le régime, mais était très influent auprès de son père et fonctionnait en fait comme son premier ministre. Le mandat d’arrêt émis contre lui ne sera finalement jamais exécuté puisqu’il capturé par la brigade Abu Bakr al-Sidiqq, une milice de Zintan, en novembre 2011. En mars 2014, il est accusé in abstentia et reconnu coupable de crimes contre l’humanité par la Cour d’Assises de Tripoli. Il est alors condamné à passer au peloton d’exécution. Mais la milice Abu Bakr al-Sidiqq refuse de relâcher Saïf al-Islam, et il est donc impossible pour Tripoli de mettre en œuvre la peine prononcée. En juin 2014, la CPI transfère son cas au Conseil de Sécurité de l’ONU en raison du refus de la Libye de le transférer, témoignant des moyens limités de la Cour. Saïf al-Islam est de son côté relâché le 9 juin 2017 par la milice Abu Bakr al-Siddiq. Depuis, il se trouverait vraisemblablement toujours à Zintan, en « surveillance très surveillée ».

Quant à Al-Senoussi, il est à l’heure actuelle détenu avec 4 autres hauts dignitaires kadhafistes. On trouve Saadi Kadhafi, un autre fils de l’ex-leader libyen, qui ne fait pas l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI mais est accusé du meurtre de Bashir al-Rayani, un entraîneur de football libyen. On retrouve également Baghdadi Mahmoudi, médecin, spécialiste en gynécologie, qui a travaillé comme Secrétaire au Département de la Santé, puis comme Premier Ministre de Mouammar Kadhafi. Il est accusé de détournement d’argent public mais aussi, point très important dans son cas, d’incitation au viol durant la répression du soulèvement de 2011. A leurs côtés se trouvent également Mansour Daw et Abouzeid Dorda, respectivement Ancien Chef de la Sécurité Intérieure et Extérieure sous Kadhafi. Après la mort du raïs, tous ces hommes avaient tenté de se cacher ou de fuir à l’étranger. Certains ont été détenus pendant presque 2 ans par différentes milices. En 2014, ils sont finalement remis à la justice libyenne après plusieurs demandes d’extraditions de pays frontaliers. La CPI a quant à elle demandé plusieurs fois l’extradition d’Al-Senoussi. Ce-dernier avait un rôle clef dans la structure du régime libyen en tant que chef des services de Renseignement. Il est notamment accusé d’avoir organisé l’attentat du vol UCA 772 en 1989 qui a tué 170 personnes dont 54 Français ; et celui du vol Boeing 747 qui explosa au-dessus de Lockerbie en Ecosse, faisant 270 victimes. En Libye, c’est aussi al-Senoussi qui aurait ordonnait l’exécution des 1200 prisonniers de la Prison d’Abou Salim en 1996. Malgré les demandes répétées de La Haye, la justice libyenne refuse de livrer Al-Senoussi et la CPI baisse les bras. Cela illustre une nouvelle fois les moyens limités de la Cour qui malgré l’émission de mandats d’arrêt, ne peut pas aller chercher les personnes recherchées dans les pays concernés.


C’est donc la justice nationale qui va poursuivre ces hommes dans un pays qui est pourtant loin d’être stabilisé et où les institutions juridiques sont encore très fragiles. Le 25 mars 2014 s’ouvre le procès 630/2012 qui veut juger 37 dignitaires kadhafistes dont les 5 précédemment cités. Parmi les 18 chefs d’accusation, on trouve l’incitation au meurtre et à la guerre civile, l’utilisation d’avions de combat et de gaz toxiques, mais aussi l’incitation au viol. Cette accusation se porte notamment sur Baghdadi Mahmoudi, médecin gynécologue qui aurait donné cet ordre turpide aux troupes du régime durant la répression.

Durant un an et demi, les audiences se déroulent directement depuis la prison d’El-Habada dans la banlieue de Tripoli. Celle-ci est dirigée par Khaled el-Chérif, un ancien membre du Groupe Islamique Combattant en Libye (GICL). Ce processus juridique doit nous interroger. Il a lieu dans un pays encore miné par la violence. Les conditions de détention de ces 37 prisonniers sont en outre très mauvaises et totalement irrespectueuses de tout principe des droits de l’homme. Des vidéos circulent et montrent notamment Saadi Kadhafi giflé et frappé sur la plante des pieds. Abouzeid Dorda aurait quant à lui été défenestré du deuxième étage parce qu’il refusait de renier Kadhafi, et aurait ainsi eu les chevilles cassées. D’autres témoignages relatent la violence subie par ces détenus : Al-Senoussi aurait notamment été « corrigé » par des proches des défunts du massacre de la prison d’Abou Salim en 1996, duquel il est jugé responsable. C’est donc sans aucun respect des textes internationaux quant au traitement des prisonniers que ce procès a eu lieu. Le 28 juillet 2015, le verdict tombe : sur les 37 prévenus, 9 sont condamnés à la peine de mort, 8 à la prison à vie, 15 autres à des peines de prison allant de 5 à 12 ans.


Mais le 26 mai dernier, la prison d’El-Habada est prise par la brigade des révolutionnaires de Tripoli, menée par Haythem Tajouri. Plusieurs prisonniers sont libérés, mais les plus hauts dignitaires du régime de Kadhafi restent aux mains de Tajouri. Celui-ci va néanmoins leur offrir des conditions de détentions beaucoup plus décentes. Il semblerait que les détenus sont en fait en surveillance surveillée, avec des conditions bien meilleures qu’à El-Habada, et des droits de visite beaucoup plus importants.

Cette offensive menée par les hommes de Tajouri sur la prison d’El-Habada montre aussi combien il est important de détenir ces responsables kadhafistes dans cette Libye en chaos. Les détenir, c’est avoir un certain pouvoir. Cela montre aussi la lutte qu’il existe entre les différents groupes post-révolution en Libye, où chaque acteur veut damer le pion à ses concurrents. Enfin, le fait que ces ex-dirigeants soient désormais mieux traités par la main de Tajouri montre aussi que ce sont des acteurs à ne pas effacer trop rapidement du jeu politique libyen. La situation n’est pas stabilisée dans le pays, et le torchon brûle toujours entre Sarraj à l’ouest et Haftar à l’est. Certains commentateurs soulignent que ces anciens dirigeants pourraient encore avoir un rôle à jouer dans le processus politique libyen. En effet, le procès de Saadi Kadhafi pourrait être annulé. Quant aux quatre autres, ils sont tous éligibles à la loi d’amnistie prononcée au lendemain du verdict, le 29 juillet 2015, par la Chambre des Représentants de Tobrouk, reconnue par la communauté internationale. Le sort de ces hommes est une pomme de discorde pour beaucoup en Libye. Mais Haytem Tajouri prend pour l’instant soin d’eux. Le processus de dialogue guidé par Ghassan Salamé est pour l’instant au point mort, mais rien ne dit que ces hommes n’auront pas un rôle à jouer à l’avenir.


La poursuite des crimes de guerre en Libye est donc à suivre de près. La CPI a pris des initiatives, mais celles-ci restent assez sclérosées. La justice nationale libyenne a pris les choses en main certes, mais cela s’est fait en dépit du respect des droits de l’homme et des conditions de détention des détenus, dans un procès qui a tourné au pugilat. Cependant, d’autres outils juridiques existent. Le droit permet certaines approches innovantes qui peuvent être tout à fait pertinentes. C’est le cas par exemple avec la « compétence universelle ». Ce mécanisme varie selon les pays. L’idée générale veut qu’un Etat soit compétent puisse poursuivre un criminel quel que soit le lieu où le crime est commis, et sans distinction quant à la nationalité des criminels ou des victimes. Dans le cas que nous étudions ici, la compétence universelle veut surtout permettre de poursuivre un criminel qui aurait commis des crimes en Libye et s’en irait ensuite dans un autre pays. La procédure varie selon les pays : il faut parfois que l’accusé soit directement rattaché au pays, qu’il y ait une résidence, parfois simplement qu’il soit sur le sol du pays en question pour qu’une plainte puisse être déposée au moment précis où il s’y trouve. Ce mécanisme permet donc de déposer des plaintes, sans passer par la procédure de la CPI. C’est une utilisation innovante du droit qui veut permettre à des Etats, des ONG ou des activistes de participer au processus de justice face à des criminels de guerre.


Khalifa Haftar, commandant de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) depuis 2015, est l’homme fort de l’Est libyen. Il s’est présenté comme le rempart aux islamistes en les chassant notamment de Benghazi. Mais l’homme s’est rendu responsable de nombreuses exactions, pouvant être qualifiées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Une première plainte le concerne le 18 avril 2018, pour torture et exécutions, et est déposée au Tribunal de Grande Instance de Paris. Pour ce faire, le plaignant a profité du passage d’Haftar en France pour se faire soigner, ce qui lui a permis de déposer une plainte en compétence universelle puisque l’homme était alors sur le territoire français. Une seconde plainte le concerne le 26 avril 2018. Celle-ci est déposée par une avocate travaillant avec des activistes libyens et par We Are Not Weapons of War. La plainte est déposée au pôle génocide du Tribunal de Grande Instance de Paris, une nouvelle fois pour torture, et une nouvelle fois via la procédure de compétence universelle. Depuis, elle a été reconnue comme admissible. C’est la première fois que l’admissibilité d’une plainte en compétence universelle est reconnue aussi rapidement. Si ces deux plaintes n’incluent pas d’accusations de viols, le mécanisme de la compétence universelle pourrait tout à fait être utilisé à l’avenir pour ce type de crimes.


De façon plus générale, WWoW privilégie ces approches de la justice qui veulent utiliser le droit de façon innovante. Et pour ce faire, il est essentiel de s’appuyer sur le travail des réseaux libyens. C’est ce qu’il faut retenir du film Libye, Anatomie d’un crime.Des Libyens travaillent chaque jour dans l’ombre, au péril de leur vie, pour collecter des éléments sur les crimes qui se déroulent dans leur pays. C’est sur ces personnes que doit s’appuyer le travail d’enquête parce qu’elles sont les plus informées sur ce qu’il se passe dans leur pays ou leur ville.

WWoW travaille au quotidien avec les réseaux libyens et continue la collaboration avec ceux qui apparaissent dans ce film. Durant un appel via Skype il y a encore quelques semaines, ces-derniers nous indiquent avoir collecté de nouveaux cas de viols. Pour les soutenir dans leur travail, WWoW veut lancer l’outil Back Up. Il s’agit ici d’une réponse qui se veut juridique, mais pas seulement. Le Back Up est une application mobile qui veut répondre aux 3 défis majeurs du viol de guerre : l’impossibilité pour les victimes d’accéder aux services dont elles ont besoin ; le manque de coordination entre les professionnels impliqués ; et le manque de données fiables sur le viol de guerre. C’est donc une réponse transsectorielle que veut apporter cet outil.


L’application permet tout à d’abord aux victimes de se signaler : une interface simple, sécurisée et proposée en plusieurs langues, leur permet d’expliquer leur situation, de se géolocaliser et d’indiquer de potentielles blessures. Il s’agit là de répondre à l’urgence de la situation, qui est souvent médicale, et de ne pas laisser la victime seule. Ce signalement peut aussi être émis par des tiers, c’est-à-dire des proches de la victime, ou même des activistes ou des journalistes qui assistent à de tels actes. Une fois émis, ce signalement est reçu par nos équipes. La toute première idée est de montrer à la victime qu’elle peut avoir un interlocuteur, qu’elle est reconnue, qu’elle existe. On peut ensuite lui envoyer des services adaptés à ses besoins. Pour ce faire, WWoW s’appuie sur les réseaux construits et solidifiés en Libye depuis 5 ans, notamment des réseaux médicaux. Le Back Up fait donc en sorte que les services se rendent vers la victime et non l’inverse. On évite ainsi de potentiels risques que pourrait encourir la victime lors de son déplacement, mais aussi la stigmatisation à laquelle elle pourrait faire face en se rendant chez un médecin.

Mais la victime peut demander à voir un médecin, un psychologue ou encore un avocat. Et le Back Up veut représenter cette solution plurielle, parce que les besoins des victimes de viol de guerre sont très spécifiques et varient d’une personne à l’autre. Le Back Up contient donc une plateforme professionnelle collaborative sur laquelle les professionnels en question peuvent discuter et coordonner leur action.


Il s’agit donc d’un outil de prise en charge complète de la victime. Mais d’un point de vue juridique, cela va plus loin. Le signalement de la victime est en effet enregistré de façon totalement sécurisée. Une fois émis, celui-ci disparaît du téléphone de la victime et ne laisse aucune trace. Mais il est enregistré dans notre « Back Office » de façon crypté. Il ne peut donc pas être altéré. Dès lors, il peut être utilisé par la suite en cas de poursuites judiciaires. Les victimes ne veulent pas toutes entamer des procédures de justice, et il convient de les laisser libres de ce choix. Mais pour celles et ceux qui le désirent, le signalement constitue un premier élément dans un dossier. A partir de celui-ci, nous pouvons demander à nos réseaux sur place d’aller rencontrer les victimes pour préciser certains éléments. D’où l’idée essentielle ici de s’appuyer sur les réseaux locaux : ce sont eux qui connaissent la situation sécuritaire, les zones de contrôle des milices, les personnes à qui faire confiance ou non. Dès lors, au contact de ces victimes, ils peuvent nous communiquer d’autres informations. Il faut ici bien comprendre que dans le cas de viols, de nombreux détails peuvent être cruciaux : une date, un lieu, le nom d’une prison, le nom d’une unité, le grade d’un officier, son badge, son uniforme… Tout cela peut rendre un dossier beaucoup plus solide. L’idée ensuite est de croiser différents témoignages : en recoupant certaines informations, on peut faire ressortir plusieurs références à un même lieu, à une même prison, voire à un même nom d’unité par exemple. Cela peut être l’un des éléments de preuve de l’aspect systématique du viol.

A terme, l’outil Back Up pourra nous permettre de recueillir de très nombreuses données. WWoW a l’ambition de diffuser l’outil dans un nombre suffisant de pays pour pouvoir mener la première étude globale sur le viol de guerre, et pour pouvoir ainsi avoir des données et des chiffres fiables sur ce phénomène.


Le Back Up est donc une solution plurielle, une solution qui veut répondre au viol de guerre dans sa globalité, tout en s’adressant au besoin de chaque victime. A l’image de cet outil, les solutions existent donc. Et si les processus de justice « classiques » sont bloqués comme nous avons pu le voir avec la CPI, les approches innovantes par le droit et par la technologie peuvent permettre de répondre au viol de guerre. C’est là tout le combat de WWoW qui ne veut pas que le film diffusé hier soir soit vu comme une finalité. Les choses se poursuivent, et chaque jour nos équipes travaillent main dans la main avec des réseaux locaux en Libye, mais aussi ailleurs. WWoW veut diffuser le Back Up en Libye et dans 4 autres pays en 2019. Mais cela nécessite des fonds pour se rendre sur place et former les équipes à ce nouvel outil qui pourrait avoir un impact considérable. C’est pour répondre à ce besoin de fonds que WWoW a lancé un appel à l’action auquel chacun peut contribuer pour poser sa pierre à l’édifice d’une meilleure justice. Ce film choque, ce film indigne. Mais cette indignation doit nous pousser à l’action. C’est une nécessité. Non seulement pour les victimes qui doivent être reconnues, mais aussi pour l’avenir de la Libye. Tous les conflits passés nous le montrent : vouloir reconstruire un pays, stabiliser une situation et recréer un esprit d’unité nationale sans juger les crimes qui ont été commis ; revient à remplir un tonneau des Danaïdes. La justice est un pilier fondamental dans la reconstruction d’un pays après un conflit. Nier ce besoin de justice, c’est condamner l’avenir d’un pays.


Martin Chave


Pour aller plus loin, quelques références : – Le film Libye, Anatomie d’un crime, réalisé par Cécile Allegra et diffusé sur Arte le 23 octobre 2018. Disponible pendant 60 jours sur Arte Replay. – Pour en savoir plus sur le travail de We Are Not Weapons of War (WWoW), c’est par là. – Pour en savoir plus sur l’outil Back Up, c’est par là. – Pour que le film ne s’arrête pas là, soutenez le travail de réseaux libyens et participez à l’enquête aux côtés de WWoW => cliquez ici.


Photo © Cinétévé



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