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Dernière mise à jour : 24 févr.

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies, lors de sa séance du 5 novembre, a renouvelé et élargi les sanctions contre les crimes commis en Libye, en y intégrant désormais les violences sexuelles. La Résolution 2441 a été adoptée avec 13 « oui », et 2 abstentions, de la Chine et la Russie.

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C’est un pas en avant important dans la reconnaissance et la criminalisation des violences sexuelles au sein du conflit libyen. Depuis 2011, les Nations Unies suivent la situation en Libye. La Résolution 1970 (2011) exhortait déjà le régime libyen à respecter le Droit International Humanitaire et à cesser toute exaction ; et rendait la Cour Pénale Internationale (CPI) compétente pour enquêter et juger les crimes de guerre dans le pays. Peu de temps après, le Conseil de Sécurité adoptait la Résolution 1973 (2011) qui créait un Groupe d’Experts sur la Libye. Ce dernier fut chargé de regrouper, d’examiner et d’analyser tous les éléments possibles sur de potentielles exactions commises sur le sol libyen. La Résolution adoptée par le Conseil de Sécurité le chargeait de regrouper des éléments sur les exactions contre les civils, la production et le trafic d’armes, ou encore sur les déplacements de personnes interdites de voyager. Ce groupe a jusqu’à aujourd’hui particulièrement suivi les faits et gestes de personnes désignées par les Nations Unies, souvent des dignitaires et commandants du régime de Kadhafi, et pour lesquelles des gels d’avoirs ou des mandats d’arrêt avaient été émis.


Le mandat de ce Groupe d’Experts a été prolongé et élargi à plusieurs reprises. La dernière fois, il s’agissait de lui donner des compétences d’enquête sur l’exportation illicite de pétrole libyen. En ce mois de novembre, le Conseil de Sécurité rappelle le mandat donné au Groupe d’Experts, mais l’élargit cette fois-ci en y incluant les violences sexuelles. Ainsi, au même titre que le trafic d’armes ou l’exportation illicite de produits pétroliers, les violences sexuelles doivent être l’objet d’enquêtes approfondies du Groupe d’Experts qui doit se doter des « compétences nécessaires dans le domaine de la violence sexuelle et sexiste », et peuvent être l’objet de sanctions par l’ONU. Ce type d’exaction devrait donc désormais être suivi. La Résolution 2441 souligne que le Groupe d’Experts doit remettre au Conseil de Sécurité un premier rapport d’activité au plus tard le 15 juin 2019, puis un rapport final où figureront ses conclusions et recommandations, le 15 décembre 2019.


Alors pourquoi est-ce important ?


Par cette résolution, le Conseil de Sécurité reconnaît que les violences sexuelles dans le conflit libyen ne peuvent pas être laissées de côté. Il reconnaît qu’elles sont une menace pour la paix au même titre que le trafic d’armes, la détention arbitraire, la torture, ou d’autres exactions. En Libye, le viol de guerre crée un cycle de violence sans fin. Le viol a été utilisé par le régime de Kadhafi comme outil de répression politique durant le soulèvement de 2011. Mais aujourd’hui encore, c’est une arme de vengeance entre tribus et un instrument de domination des villes et des territoires pour les milices libyennes (katiba). C’est un outil stratégique au cœur de la guerre, qui fait des dégâts comme n’importe quelle autre arme. En Libye, il touche aussi bien les femmes que les hommes. Il vise en effet à détruire ceux qui participent à la vie politique libyenne, il les efface donc de la sphère publique. Il devient dès lors une menace pour la société entière. C’est ce que souligne cette nouvelle résolution des Nations Unies. Toute paix et toute reconstruction sont inenvisageables en Libye si l’on ne condamne pas ces crimes qui s’attaquent aux acteurs de la vie politique et publique elle-même.


Cette Résolution apparaît dans un mouvement plus global de reconnaissance des violences sexuelles en conflit. En octobre, le Prix Nobel de la Paix était attribué au Docteur Denis Mukwege et à l’activiste yézidie Nadia Murad pour leur engagement contre le viol de guerre. Il s’agissait alors d’un message fort mais qui restait assez symbolique. Désormais, c’est une décision prise par l’ONU qui reconnaît ces violences et qui montre que les auteurs de ces crimes ne doivent pas restés impunis.

Cette nouvelle résolution n’est pas la panacée, et il faut en être conscient bien sûr. On peut légitimement se poser la question de l’efficacité de ces mesures de sanctions. L’Institut Georgetown pour les Femmes, la Paix et la Sécurité rappelait dans un rapport publié en mars 2018, que la proclamation de sanctions pour empêcher les violences sexuelles en conflit manquait d’efficacité. Ce rapport indiquait notamment que les Groupes d’Experts ne collaborent souvent pas assez avec les ONG et autres organismes experts de ces questions, et il encourageait le Conseil de Sécurité à lister de façon claire les noms des auteurs de ces crimes lorsque suffisamment d’éléments corroborent leur implication.

Néanmoins, il s’agit là d’un premier pas crucial, qui reconnaît que le viol et les violences sexuelles en Libye doivent être considérés au même titre que d’autres types de violence.


We Are Not Weapons of War participe au quotidien à cette reconnaissance nécessaire des violences sexuelles en conflit, et particulièrement dans le cas libyen. Cette Résolution a été adoptée moins de deux semaines après la diffusion du film Libye, anatomie d’un crime, réalisé par Cécile Allegra, qui montre l’utilisation du viol comme arme en Libye, notamment à l’encontre des hommes, et suit le travail de Céline Bardet et des réseaux d’enquêteurs libyens. Et ce travail continue : notre équipe est en contact permanent avec les réseaux sur place qui continuent de recueillir des données et d’accueillir chaque jour des personnes qui témoignent des sévices qu’elles ont subis. Les témoignages s’accumulent donc, d’hommes et de femmes à travers toute la Libye. L’équipe de WWoW est donc heureuse de voir que les autorités internationales se saisissent de la question en Libye. Cela doit permettre à la parole de se libérer, et doit aussi encourager la collaboration et le partage de compétences entre institutions internationales, ONG, et réseaux sur le terrain.


Il y a encore quelques jours, nos contacts à Tripoli nous expliquaient recevoir au moins 3 personnes chaque jour pour recueillir leur témoignage. Les témoignages et les informations existent donc. Mais désormais, il convient de les trier, de les analyser, de les recouper pour pouvoir faire ressortir des éléments utilisables d’un point de vue juridique. C’est l’étape suivante, et celle-ci nécessite des fonds. Notre équipe prévoit en 2019 de former ces enquêteurs à ces méthodes d’analyse très spécifiques. Mais des fonds sont nécessaires pour se rendre sur place. De même, les réseaux libyens travaillent aujourd’hui dans des conditions peu sécurisées, parfois sans accès à internet… WWoW a jusqu’à présent financé la location de bureaux et l’achat de matériel pour leur permettre de travailler dans des conditions décentes. Toutefois, au vu du nombre de cas à traiter, ces enquêteurs libyens ont désormais besoins de se professionnaliser et d’augmenter leurs effectifs, ce qui nécessite une fois encore des fonds.

Depuis la remise du Prix Nobel de la Paix en octobre, un mouvement global pour la reconnaissance des violences sexuelles en conflit est né. Désormais, les Nations Unies reconnaissent que ces violences sont une menace pour la paix en Libye. C’est ce mouvement que porte WWoW depuis plus de 4 ans, et qui doit continuer à progresser.


  • Pour soutenir les réseaux libyens et contribuer au travail d’enquête en cours : notre appel à l’action.

  • Pour voir ou revoir le film Libye, Anatomie d’un crime, réalisé par Cécile Allegra : Le replay Arte.

  • Pour en savoir plus sur l’utilisation du viol comme arme au coeur du conflit libyen : la série de 4 articles sur le blog de WWoW.

  • Pour en savoir plus sur les nouvelles sanctions adoptées par l’ONU et sur le vote : un article de PassBlue.


Photo © ONU Info.



  • 23 oct. 2018
  • 12 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 févr.

Les articles de cette série publiés la semaine dernière, ont dressé un tableau bien sombre de l’utilisation du viol dans le conflit libyen. Arme de répression politique puis outil de vengeance entre tribus, le viol mine le pays depuis 2011. Ils laissent ses victimes silencieuses et effacées de la vie publique, des femmes et des hommes libyens, mais aussi des migrants venus de différents pays d’Afrique.

Mais face à ce triste constat, que faire ? C’est une question que l’on pose souvent à l’équipe de We Are Not Weapons of War (WWoW). Que peut-on faire, que peut-on mettre en place pour lutter contre le viol de guerre ? Ce dernier article vise à montrer les actions entreprises et celles à entreprendre pour lutter contre ce fléau. Céline Bardet et toute l’équipe de WWoW insiste beaucoup sur ces potentielles solutions. Pour qu’après avoir regardé le film Libye, Anatomie d’un crime diffusé hier soir sur Arte, vous spectateurs, vous lecteurs, ne restiez pas engourdis dans un sentiment d’impuissance. Les solutions existent, mais elles ont besoin d’être connues et soutenues. Elles concernent l’aspect juridique bien-sûr, et cet article montrera que si le pouvoir d’action de la Cour Pénale Internationale (CPI) est limité, d’autres pistes existent. Mais le viol de guerre pose aussi des défis médicaux, psychologiques, sociaux, et la réponse à y apporter doit être plurielle.


A la suite de la diffusion du film Libye, Anatomie d’un crime hier soir, cet article propose donc une conclusion. Il fait un bilan sur le processus de justice en Libye et la poursuite des crimes de guerre et notamment du viol. Mais il veut aussi mettre en lumière les actions menées par les réseaux libyens sur place, avec lesquels WWoW travaille au quotidien.


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L’approche juridique est centrale dans le traitement des violences sexuelles en conflit. Et très souvent, nos équipes reçoivent de nombreuses interrogations quant au rôle de la Cour Pénale Internationale (CPI). Contrairement aux conflits syrien, irakien ou yéménite ; la CPI peut exercer sa compétence sur la Libye, grâce à la Résolution 1970 adoptée le 26 février 2011 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. La Cour est ainsi rendue compétente quant aux crimes commis en Libye à partir du 15 février. Le 27 juin 2011, Luis Moreno Ocampo, alors Procureur Général, émet 3 mandats d’arrêt contre Mouammar Kadhafi, son fils Saïf al-Islam Kadhafi, et Abdoullah al-Senoussi. Rappelons ici que la CPI poursuit uniquement des personnes et non pas des Etats. Ces mandats concernent des crimes contre l’humanité, avec torture, arrestations arbitraires et disparitions forcées ; mais ici, aucune mention n’est faite de crimes relatifs aux violences sexuelles. Par la suite, Interpol émet un mandat d’arrêt contre les 3 accusés, le 9 septembre. Mouammar Kadhafi ne fera pas face à la CPI, la justice des armes le condamnant le 20 octobre à Syrte. Son fils Saïf al-Islam (signifiant littéralement « le glaive de l’islam ») est lui aussi accusé de crimes de guerre. Il n’avait pas de position politique officielle dans le régime, mais était très influent auprès de son père et fonctionnait en fait comme son premier ministre. Le mandat d’arrêt émis contre lui ne sera finalement jamais exécuté puisqu’il capturé par la brigade Abu Bakr al-Sidiqq, une milice de Zintan, en novembre 2011. En mars 2014, il est accusé in abstentia et reconnu coupable de crimes contre l’humanité par la Cour d’Assises de Tripoli. Il est alors condamné à passer au peloton d’exécution. Mais la milice Abu Bakr al-Sidiqq refuse de relâcher Saïf al-Islam, et il est donc impossible pour Tripoli de mettre en œuvre la peine prononcée. En juin 2014, la CPI transfère son cas au Conseil de Sécurité de l’ONU en raison du refus de la Libye de le transférer, témoignant des moyens limités de la Cour. Saïf al-Islam est de son côté relâché le 9 juin 2017 par la milice Abu Bakr al-Siddiq. Depuis, il se trouverait vraisemblablement toujours à Zintan, en « surveillance très surveillée ».

Quant à Al-Senoussi, il est à l’heure actuelle détenu avec 4 autres hauts dignitaires kadhafistes. On trouve Saadi Kadhafi, un autre fils de l’ex-leader libyen, qui ne fait pas l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI mais est accusé du meurtre de Bashir al-Rayani, un entraîneur de football libyen. On retrouve également Baghdadi Mahmoudi, médecin, spécialiste en gynécologie, qui a travaillé comme Secrétaire au Département de la Santé, puis comme Premier Ministre de Mouammar Kadhafi. Il est accusé de détournement d’argent public mais aussi, point très important dans son cas, d’incitation au viol durant la répression du soulèvement de 2011. A leurs côtés se trouvent également Mansour Daw et Abouzeid Dorda, respectivement Ancien Chef de la Sécurité Intérieure et Extérieure sous Kadhafi. Après la mort du raïs, tous ces hommes avaient tenté de se cacher ou de fuir à l’étranger. Certains ont été détenus pendant presque 2 ans par différentes milices. En 2014, ils sont finalement remis à la justice libyenne après plusieurs demandes d’extraditions de pays frontaliers. La CPI a quant à elle demandé plusieurs fois l’extradition d’Al-Senoussi. Ce-dernier avait un rôle clef dans la structure du régime libyen en tant que chef des services de Renseignement. Il est notamment accusé d’avoir organisé l’attentat du vol UCA 772 en 1989 qui a tué 170 personnes dont 54 Français ; et celui du vol Boeing 747 qui explosa au-dessus de Lockerbie en Ecosse, faisant 270 victimes. En Libye, c’est aussi al-Senoussi qui aurait ordonnait l’exécution des 1200 prisonniers de la Prison d’Abou Salim en 1996. Malgré les demandes répétées de La Haye, la justice libyenne refuse de livrer Al-Senoussi et la CPI baisse les bras. Cela illustre une nouvelle fois les moyens limités de la Cour qui malgré l’émission de mandats d’arrêt, ne peut pas aller chercher les personnes recherchées dans les pays concernés.


C’est donc la justice nationale qui va poursuivre ces hommes dans un pays qui est pourtant loin d’être stabilisé et où les institutions juridiques sont encore très fragiles. Le 25 mars 2014 s’ouvre le procès 630/2012 qui veut juger 37 dignitaires kadhafistes dont les 5 précédemment cités. Parmi les 18 chefs d’accusation, on trouve l’incitation au meurtre et à la guerre civile, l’utilisation d’avions de combat et de gaz toxiques, mais aussi l’incitation au viol. Cette accusation se porte notamment sur Baghdadi Mahmoudi, médecin gynécologue qui aurait donné cet ordre turpide aux troupes du régime durant la répression.

Durant un an et demi, les audiences se déroulent directement depuis la prison d’El-Habada dans la banlieue de Tripoli. Celle-ci est dirigée par Khaled el-Chérif, un ancien membre du Groupe Islamique Combattant en Libye (GICL). Ce processus juridique doit nous interroger. Il a lieu dans un pays encore miné par la violence. Les conditions de détention de ces 37 prisonniers sont en outre très mauvaises et totalement irrespectueuses de tout principe des droits de l’homme. Des vidéos circulent et montrent notamment Saadi Kadhafi giflé et frappé sur la plante des pieds. Abouzeid Dorda aurait quant à lui été défenestré du deuxième étage parce qu’il refusait de renier Kadhafi, et aurait ainsi eu les chevilles cassées. D’autres témoignages relatent la violence subie par ces détenus : Al-Senoussi aurait notamment été « corrigé » par des proches des défunts du massacre de la prison d’Abou Salim en 1996, duquel il est jugé responsable. C’est donc sans aucun respect des textes internationaux quant au traitement des prisonniers que ce procès a eu lieu. Le 28 juillet 2015, le verdict tombe : sur les 37 prévenus, 9 sont condamnés à la peine de mort, 8 à la prison à vie, 15 autres à des peines de prison allant de 5 à 12 ans.


Mais le 26 mai dernier, la prison d’El-Habada est prise par la brigade des révolutionnaires de Tripoli, menée par Haythem Tajouri. Plusieurs prisonniers sont libérés, mais les plus hauts dignitaires du régime de Kadhafi restent aux mains de Tajouri. Celui-ci va néanmoins leur offrir des conditions de détentions beaucoup plus décentes. Il semblerait que les détenus sont en fait en surveillance surveillée, avec des conditions bien meilleures qu’à El-Habada, et des droits de visite beaucoup plus importants.

Cette offensive menée par les hommes de Tajouri sur la prison d’El-Habada montre aussi combien il est important de détenir ces responsables kadhafistes dans cette Libye en chaos. Les détenir, c’est avoir un certain pouvoir. Cela montre aussi la lutte qu’il existe entre les différents groupes post-révolution en Libye, où chaque acteur veut damer le pion à ses concurrents. Enfin, le fait que ces ex-dirigeants soient désormais mieux traités par la main de Tajouri montre aussi que ce sont des acteurs à ne pas effacer trop rapidement du jeu politique libyen. La situation n’est pas stabilisée dans le pays, et le torchon brûle toujours entre Sarraj à l’ouest et Haftar à l’est. Certains commentateurs soulignent que ces anciens dirigeants pourraient encore avoir un rôle à jouer dans le processus politique libyen. En effet, le procès de Saadi Kadhafi pourrait être annulé. Quant aux quatre autres, ils sont tous éligibles à la loi d’amnistie prononcée au lendemain du verdict, le 29 juillet 2015, par la Chambre des Représentants de Tobrouk, reconnue par la communauté internationale. Le sort de ces hommes est une pomme de discorde pour beaucoup en Libye. Mais Haytem Tajouri prend pour l’instant soin d’eux. Le processus de dialogue guidé par Ghassan Salamé est pour l’instant au point mort, mais rien ne dit que ces hommes n’auront pas un rôle à jouer à l’avenir.


La poursuite des crimes de guerre en Libye est donc à suivre de près. La CPI a pris des initiatives, mais celles-ci restent assez sclérosées. La justice nationale libyenne a pris les choses en main certes, mais cela s’est fait en dépit du respect des droits de l’homme et des conditions de détention des détenus, dans un procès qui a tourné au pugilat. Cependant, d’autres outils juridiques existent. Le droit permet certaines approches innovantes qui peuvent être tout à fait pertinentes. C’est le cas par exemple avec la « compétence universelle ». Ce mécanisme varie selon les pays. L’idée générale veut qu’un Etat soit compétent puisse poursuivre un criminel quel que soit le lieu où le crime est commis, et sans distinction quant à la nationalité des criminels ou des victimes. Dans le cas que nous étudions ici, la compétence universelle veut surtout permettre de poursuivre un criminel qui aurait commis des crimes en Libye et s’en irait ensuite dans un autre pays. La procédure varie selon les pays : il faut parfois que l’accusé soit directement rattaché au pays, qu’il y ait une résidence, parfois simplement qu’il soit sur le sol du pays en question pour qu’une plainte puisse être déposée au moment précis où il s’y trouve. Ce mécanisme permet donc de déposer des plaintes, sans passer par la procédure de la CPI. C’est une utilisation innovante du droit qui veut permettre à des Etats, des ONG ou des activistes de participer au processus de justice face à des criminels de guerre.


Khalifa Haftar, commandant de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) depuis 2015, est l’homme fort de l’Est libyen. Il s’est présenté comme le rempart aux islamistes en les chassant notamment de Benghazi. Mais l’homme s’est rendu responsable de nombreuses exactions, pouvant être qualifiées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Une première plainte le concerne le 18 avril 2018, pour torture et exécutions, et est déposée au Tribunal de Grande Instance de Paris. Pour ce faire, le plaignant a profité du passage d’Haftar en France pour se faire soigner, ce qui lui a permis de déposer une plainte en compétence universelle puisque l’homme était alors sur le territoire français. Une seconde plainte le concerne le 26 avril 2018. Celle-ci est déposée par une avocate travaillant avec des activistes libyens et par We Are Not Weapons of War. La plainte est déposée au pôle génocide du Tribunal de Grande Instance de Paris, une nouvelle fois pour torture, et une nouvelle fois via la procédure de compétence universelle. Depuis, elle a été reconnue comme admissible. C’est la première fois que l’admissibilité d’une plainte en compétence universelle est reconnue aussi rapidement. Si ces deux plaintes n’incluent pas d’accusations de viols, le mécanisme de la compétence universelle pourrait tout à fait être utilisé à l’avenir pour ce type de crimes.


De façon plus générale, WWoW privilégie ces approches de la justice qui veulent utiliser le droit de façon innovante. Et pour ce faire, il est essentiel de s’appuyer sur le travail des réseaux libyens. C’est ce qu’il faut retenir du film Libye, Anatomie d’un crime.Des Libyens travaillent chaque jour dans l’ombre, au péril de leur vie, pour collecter des éléments sur les crimes qui se déroulent dans leur pays. C’est sur ces personnes que doit s’appuyer le travail d’enquête parce qu’elles sont les plus informées sur ce qu’il se passe dans leur pays ou leur ville.

WWoW travaille au quotidien avec les réseaux libyens et continue la collaboration avec ceux qui apparaissent dans ce film. Durant un appel via Skype il y a encore quelques semaines, ces-derniers nous indiquent avoir collecté de nouveaux cas de viols. Pour les soutenir dans leur travail, WWoW veut lancer l’outil Back Up. Il s’agit ici d’une réponse qui se veut juridique, mais pas seulement. Le Back Up est une application mobile qui veut répondre aux 3 défis majeurs du viol de guerre : l’impossibilité pour les victimes d’accéder aux services dont elles ont besoin ; le manque de coordination entre les professionnels impliqués ; et le manque de données fiables sur le viol de guerre. C’est donc une réponse transsectorielle que veut apporter cet outil.


L’application permet tout à d’abord aux victimes de se signaler : une interface simple, sécurisée et proposée en plusieurs langues, leur permet d’expliquer leur situation, de se géolocaliser et d’indiquer de potentielles blessures. Il s’agit là de répondre à l’urgence de la situation, qui est souvent médicale, et de ne pas laisser la victime seule. Ce signalement peut aussi être émis par des tiers, c’est-à-dire des proches de la victime, ou même des activistes ou des journalistes qui assistent à de tels actes. Une fois émis, ce signalement est reçu par nos équipes. La toute première idée est de montrer à la victime qu’elle peut avoir un interlocuteur, qu’elle est reconnue, qu’elle existe. On peut ensuite lui envoyer des services adaptés à ses besoins. Pour ce faire, WWoW s’appuie sur les réseaux construits et solidifiés en Libye depuis 5 ans, notamment des réseaux médicaux. Le Back Up fait donc en sorte que les services se rendent vers la victime et non l’inverse. On évite ainsi de potentiels risques que pourrait encourir la victime lors de son déplacement, mais aussi la stigmatisation à laquelle elle pourrait faire face en se rendant chez un médecin.

Mais la victime peut demander à voir un médecin, un psychologue ou encore un avocat. Et le Back Up veut représenter cette solution plurielle, parce que les besoins des victimes de viol de guerre sont très spécifiques et varient d’une personne à l’autre. Le Back Up contient donc une plateforme professionnelle collaborative sur laquelle les professionnels en question peuvent discuter et coordonner leur action.


Il s’agit donc d’un outil de prise en charge complète de la victime. Mais d’un point de vue juridique, cela va plus loin. Le signalement de la victime est en effet enregistré de façon totalement sécurisée. Une fois émis, celui-ci disparaît du téléphone de la victime et ne laisse aucune trace. Mais il est enregistré dans notre « Back Office » de façon crypté. Il ne peut donc pas être altéré. Dès lors, il peut être utilisé par la suite en cas de poursuites judiciaires. Les victimes ne veulent pas toutes entamer des procédures de justice, et il convient de les laisser libres de ce choix. Mais pour celles et ceux qui le désirent, le signalement constitue un premier élément dans un dossier. A partir de celui-ci, nous pouvons demander à nos réseaux sur place d’aller rencontrer les victimes pour préciser certains éléments. D’où l’idée essentielle ici de s’appuyer sur les réseaux locaux : ce sont eux qui connaissent la situation sécuritaire, les zones de contrôle des milices, les personnes à qui faire confiance ou non. Dès lors, au contact de ces victimes, ils peuvent nous communiquer d’autres informations. Il faut ici bien comprendre que dans le cas de viols, de nombreux détails peuvent être cruciaux : une date, un lieu, le nom d’une prison, le nom d’une unité, le grade d’un officier, son badge, son uniforme… Tout cela peut rendre un dossier beaucoup plus solide. L’idée ensuite est de croiser différents témoignages : en recoupant certaines informations, on peut faire ressortir plusieurs références à un même lieu, à une même prison, voire à un même nom d’unité par exemple. Cela peut être l’un des éléments de preuve de l’aspect systématique du viol.

A terme, l’outil Back Up pourra nous permettre de recueillir de très nombreuses données. WWoW a l’ambition de diffuser l’outil dans un nombre suffisant de pays pour pouvoir mener la première étude globale sur le viol de guerre, et pour pouvoir ainsi avoir des données et des chiffres fiables sur ce phénomène.


Le Back Up est donc une solution plurielle, une solution qui veut répondre au viol de guerre dans sa globalité, tout en s’adressant au besoin de chaque victime. A l’image de cet outil, les solutions existent donc. Et si les processus de justice « classiques » sont bloqués comme nous avons pu le voir avec la CPI, les approches innovantes par le droit et par la technologie peuvent permettre de répondre au viol de guerre. C’est là tout le combat de WWoW qui ne veut pas que le film diffusé hier soir soit vu comme une finalité. Les choses se poursuivent, et chaque jour nos équipes travaillent main dans la main avec des réseaux locaux en Libye, mais aussi ailleurs. WWoW veut diffuser le Back Up en Libye et dans 4 autres pays en 2019. Mais cela nécessite des fonds pour se rendre sur place et former les équipes à ce nouvel outil qui pourrait avoir un impact considérable. C’est pour répondre à ce besoin de fonds que WWoW a lancé un appel à l’action auquel chacun peut contribuer pour poser sa pierre à l’édifice d’une meilleure justice. Ce film choque, ce film indigne. Mais cette indignation doit nous pousser à l’action. C’est une nécessité. Non seulement pour les victimes qui doivent être reconnues, mais aussi pour l’avenir de la Libye. Tous les conflits passés nous le montrent : vouloir reconstruire un pays, stabiliser une situation et recréer un esprit d’unité nationale sans juger les crimes qui ont été commis ; revient à remplir un tonneau des Danaïdes. La justice est un pilier fondamental dans la reconstruction d’un pays après un conflit. Nier ce besoin de justice, c’est condamner l’avenir d’un pays.


Martin Chave


Pour aller plus loin, quelques références : – Le film Libye, Anatomie d’un crime, réalisé par Cécile Allegra et diffusé sur Arte le 23 octobre 2018. Disponible pendant 60 jours sur Arte Replay. – Pour en savoir plus sur le travail de We Are Not Weapons of War (WWoW), c’est par là. – Pour en savoir plus sur l’outil Back Up, c’est par là. – Pour que le film ne s’arrête pas là, soutenez le travail de réseaux libyens et participez à l’enquête aux côtés de WWoW => cliquez ici.


Photo © Cinétévé



Dernière mise à jour : 24 févr.

Le samedi 31 mars 2018, le Mali a remis à la Cour Pénale Internationale le djihadiste M. Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud « Al Hassan », suite au mandat d’arrêt délivré par la Cour quelques jours plus tôt.


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Il est accusé d’avoir commis des crimes de guerre et crimes contre l’humanité entre avril 2012 et janvier 2013. Il s’agirait notamment de faits de torture, viol et persécution, lorsque la ville de Tombouctou était sous le contrôle de groupes terroristes tels qu’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et Ansar Eddine.


Al Hassan, alors qu’il était commissaire de la police islamique et qu’une quarantaine d’hommes étaient sous sa supervision, aurait procédé à la destruction de monuments religieux ainsi qu’à l’arrestation de nombreuses femmes. Celles-ci auraient été battues, emprisonnées et violées, au motif qu’elles ne respectaient pas les principes dictés par la charia telle que voulaient l’imposer ces groupes.


Cette arrestation a été permise grâce au travail de longue haleine fait par la CPI ainsi qu’au procès d’Ahmed Al-Mahdi, un djihadiste présent au Nord du Mali affilié au groupe Ansar Eddine, condamné à 9 ans de prison pour crime de guerre. Ce dernier a fourni des informations essentielles à la Cour permettant de lancer un mandat d’arrêt contre Al-Hassan.


« L’arrestation de M. Al Hassan et son transfèrement à la CPI envoient un message fort à tous ceux qui, où qu’ils se trouvent, commettent des crimes qui heurtent la conscience humaine », a déclaré Fatou Bensouda, procureure générale de la CPI. « J’espère qu’il signifie au Mali notre détermination et notre résolution à agir comme il se doit et à faire tout ce que nous pouvons pour répondre aux souffrances indicibles infligées à la population malienne ».

A ce jour, l’utilisation du viol comme arme de guerre n’a que très peu de fois était reconnue par la CPI. Néanmoins la condamnation de Jean-Pierre Bemba en 2016, pour son rôle de dirigeant ayant ordonné l’utilisation du viol à l’encontre de la population centrafricaine entre 2002 et 2003, pourrait servir de précédent judiciaire pour l’affaire Al Hassan. Moradeke Badirou



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